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chabaka

10 avril 2006

1- Le Maghreb, l’Europe et les migrations des Africains du Sud du Sahara

1- Le Maghreb, l’Europe et les migrations des Africains du  Sud du Sahara
SITUATION ET POSSIBILITES D’ACTION

Programme des Migrations internationales

BIT – Genève

Le Maghreb, l’Europe et les migrations des Africains du

Sud du Sahara

SITUATION ET POSSIBILITES D’ACTION

Mehdi Lahlou

                Le  présent document fait suite à l’étude publiée par le Service des migrations internationales du BIT, publiée au mois d’août 2002[1]. Il a été  préparé en parallèle à un  travail de terrain et de prospection qui a été effectué  dans les principaux sites suivants, qui sont aussi des lieux clés de passage des migrants. Il s’agit de l’Algérie, principalement des villes de Alger, Tamanrasset et Ghardaïa, de la Tunisie (Tunis et Sousse), du Maroc (Rabat, Fès, Tanger, Agadir, Oujda, Cebta/Ceuta…), des îles Canaries (Las Palmas, îles de Lanzarote et Fuerteventura) de l’Espagne (Algésiras, Malaga, Madrid, Barcelone...), d’Italie (Milan, Florence…).

Au cours de ces différentes étapes, nous avons essayé de retracer les parcours des migrants et de visualiser leurs conditions. Nous avons, notamment, rencontré plusieurs dizaines de migrantes et migrants, de différentes nationalités, avec lesquels nous avons eu des entretiens plus ou moins longs selon les difficultés du moment. Ces entretiens ayant été les plus faciles sur les lieux d’arrivée, dans les Îles Canaries ou sur le continent européen. Ils ont été, par ailleurs, les plus délicats avec les migrantes, et d’une façon générale, dans les zones proches des frontières (Tamanrasset, par exemple) ou près de lieux  d’embarquement pour l’Europe (Tanger notamment). Nous avons aussi rencontré plusieurs responsables politiques et responsables d’ONG ainsi que  nombre de chercheurs dans le domaine des migrations dans les trois pays du Maghreb, et aussi en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne, au Canada ou au Sénégal.

En parallèle à cette recherche, nous avons pu bénéficier des apports de plusieurs rencontres sur les migrations internationales ou sur des questions liées au développement durable en Afrique auxquelles nous avons pris part. Il s’agit, notamment, en plus des rencontres de Genève (janvier 2002) et de Barcelone (novembre 2002) organisées pour présenter le premier rapport sur les migrations irrégulières trans-Maghreb, des manifestations  suivantes: Poitiers, France (avril 2002) et Sousse, Tunisie (octobre (2002), rencontre sur les mobilités au Maghreb dans le cadre du réseau de recherche Migrinter-Poitiers; Alger (avril 2002) conférence internationale sur l’employabilité au Maghreb, organisée par le BIT ; Johannesburg, ( août-septembre 2002) Sommet de la Terre sur le développement durable; Berlin (octobre 2002), rencontre sur les mobilités entre Sahel et Maghreb, sur initiative du Centre allemand d’études sur l’Orient (ZMO); Paris (octobre 2002), rencontre sur la coopération internationale du HCCI[2]; Lille, France (novembre 2002), rencontre sur les migrations et la coopération décentralisée dans le cadre du Conseil général Nord-Pas de Calais, France;  Rabat, Maroc, (novembre 2002), rencontre sur les migrations subsahariennes au Maghreb et (janvier 2003), présentation et analyse critique du projet de loi marocaine sur l’émigration et l’immigration irrégulières.

Nous avons aussi puisé des données chiffrées dans différents travaux menés relativement à la question des migrations au Maghreb , notamment par l’Algérienne, Sassia Spiga(La Dynamique urbaine post-migratoire à Tamanrasset, Poitiers, avril 2002)  ou le Français Olivier Pliez (Les migrations dans le Sahara libyen: approches et aspects, Sousse, octobre 2002), ou l’Algérien Ahmed Ben Saada (le Monde diplomatique, septembre 2001). 

Situation: Présentation et évolution récente

L’ensemble des études menées au cours des dix dernières années relativement aux mouvements migratoires entre l’Afrique et l’Europe de l’Ouest  et qui ont ciblé, plus particulièrement, les nouvelles filières migratoires entre l’Afrique sub-saharienne et les pays de l’Union européenne, via le Maghreb, ont notamment permis de parvenir, entre autres conclusions, à la confirmation du fait que la question migratoire, qui concerne année après année un nombre croissant de pays et de personnes, pose une problématique globale et pluridimensionnelle.

En effet, c’est une problématique qui est tout à la fois démographique, économique, sociale et politique. Elle est aujourd’hui sur le devant de la scène, en parallèle à la forte médiatisation (et souvent aux drames[3]) attachée aux autres mouvements migratoires qui affectent divers pays d’Europe occidentale, plus particulièrement en provenance d’Europe centrale (Roumanie), du Moyen Orient (Kurdes d’Irak) ou d’Asie Centrale (Afghans, Pakistanais…). Sans que l’Europe soit le seul continent concerné par les multiples conséquences liées à l’accueil d’un nombre important de migrants[4].

S’agissant plus spécifiquement de l’Afrique, il semble bien que la conjonction d’un ensemble d’éléments d’ordre économique (accentuation de la pauvreté), politique (troubles et conflits violents inter et intra plusieurs pays africains) et réglementaire (généralisation du système des visas et mise en place de l’espace Schengen par les pays de l’UE) a conduit à l’augmentation du nombre de migrants vers l’Europe, et, en conséquence, à une plus grande visibilité du phénomène migratoire via le Sahara. Phénomène qui a, cependant, toujours existé en cette zone, en ne concernant toutefois que les citoyens de quelques pays (Mali, Niger, Tchad) qui se déplaçaient, généralement pour des travaux saisonniers, ou parfois pour se fixer, en Libye et dans le sud algérien.

Mais, désormais, la presse plus particulièrement espagnole, marocaine, algérienne ou française relate quasi-quotidiennement des faits en relation avec les migrations à partir de l’Afrique, du plus anodin (arrestation de candidats à l’immigration clandestine au large des côtes marocaines ou espagnoles) au plus dramatique (plus de 100 migrants tentant de se rendre en Libye retrouvés morts dans l’Erg du Ténéré au mois de mai 2001[5]; décès, le 27 décembre 2002 à la suite d’un incendie dans un commissariat à Malaga, dans le sud espagnol, de 7 migrants irréguliers marocains[6] ; décès par noyade devant la côte marocaine de 18 migrants subsahariens le 19 janvier 2003[7]…. ).

Dans les faits, le durcissement des réglementations européennes et des contrôles aux frontières extérieures de l’espace Schengen de même que les conflits diplomatiques ouverts – principalement entre l’Espagne et le Maroc - à propos de la ‘’porosité‘’ des frontières au Maghreb, ont déplacé le problème migratoire d’abord vers les zones de contact maroco-espagnoles, avant que celui-ci ne commence à s’orienter, avec le changement de la législation marocaine, entamé au début de l’année 2003, sanctionnant en particulier les réseaux mafieux de migration[8], à la frontière algéro-marocaine[9], puis, de plus en plus, aux frontières algéro-nigérienne, algéro-malienne et algéro-libyenne et à l’espace frontalier situé entre l’Algérie, la Tunisie, et la libye.

Autant dire que la gestion de la problématique migratoire  subsaharienne met aujourd’hui, face à face, le Maghreb et l’UE dans une posture historiquement inédite, surtout que, par ailleurs, le nombre de citoyens marocains, algériens, et dans une moindre mesure, tunisiens, qui alimentent à leur tour – très nettement pour ce qui concerne les Marocains – les migrations irrégulières vers le sud de l’Europe ne semble pas fléchir avec les années.

Dans ce qui suit, nous présentons de façon succincte un ensemble de points traités, pour partie, dans le premier volet de cette étude, et actualisés pour la circonstance. Il s’agit des raisons de ce nouveau phénomène migratoire africain, de sa véritable ampleur à l’heure actuelle, des voies et filières migratoires vers et à travers le Maghreb et des conséquences les plus visibles de ces migrations sur cette région du monde.

Nous nous attacherons par la suite à tracer les lignes essentielles de ce qu’il serait possible ou souhaitable de faire  dans les pays de départ, pour réduire la propension à la migration irrégulière, et, dans les pays maghrébins eux-mêmes, pour résorber une partie plus importante des flux migratoires ainsi analysés.

·                                Raisons de ce nouveau phénomène migratoire africain

L’expansion extrêmement rapide des migrations de ‘’clandestins ‘’ ou de personnes en ‘’situation irrégulière‘’ enregistrée au départ – et à l’intérieur - de l’Afrique (toute l’Afrique, y compris l’Afrique du Nord) depuis le début des années 1990 est, bien sûr, à relier à l’attraction de plus en plus forte qu’exercent le mode et le niveau de vie des populations d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, notamment.  A la faveur de la mondialisation, du développement des nouvelles technologies de l’information et, concomitamment, de la pénétration des images dans des lieux  encore inaccessibles voici moins de 2 décennies, cette attraction intervient aujourd’hui très puissamment, particulièrement auprès des jeunes. Pour ceux-ci, notamment, l’Europe et l’Amérique du Nord représentent ‘’ce qu’il y a de mieux‘’ en termes de conditions de vie, de liberté, de garantie des droits, de loisirs…Elles sont tout ce que leurs pays ne sont pas, tout ce à quoi ils aspirent particulièrement en terme de ‘’chance de s’en sortir‘’.

La généralisation des visas dans l’ensemble des pays riches potentiels d’accueil, en limitant singulièrement les migrations légales, et les simples déplacements des personnes, a grandement contribué à l’accroissement des mouvements effectués dans la clandestinité.

Ces deux facteurs ne sont pas, cependant, les seuls à mettre en cause pour expliquer les tendances migratoires récentes[10]. L’Afrique, en effet,  joue depuis quelques années un rôle de plus en plus répulsif sur une partie grandissante de sa population, dont l’espoir d’une vie meilleure sur son lieu de naissance s’amenuise au fur et à mesure que s’accroît la pauvreté et le ‘’mal de vivre‘’ ambiants.

L’évolution de la situation en Afrique – au sud du Sahara, en particulier – depuis le milieu des années 1960, et plus nettement au cours des deux dernières décennies, est globalement marquée par quatre éléments majeurs, qui résument l’ampleur et la profondeur du dilemme africain en ce début de siècle.

L’Afrique, en effet, connaît encore une ère d’exubérance démographique; la pauvreté est en train de s’y étendre comme nulle part ailleurs au monde; les ressources naturelles à la disposition de ses habitants – l’eau notamment – sont de moins en moins abondantes; et, conséquence d’une multitude de raisons - dont les trois causes ci-dessus et les multiples interférences extérieures aussi bien, politiques, du temps de la ‘’guerre froide‘’ que, économiques, de l’ère actuelle de la mondialisation - les conflits et les guerres de toutes natures y sont de plus en plus nombreux, réduisant par la même les possibilités d’inverser les tendances notamment en termes économiques, étant donné que l’insécurité représente un facteur de forte répulsion aussi bien pour les investisseurs locaux (dont le nombre est a priori réduit) que pour des investisseurs potentiels étrangers.  A ce niveau, deux déterminants directs, intimement liés dans la situation africaine actuelle, sont à mettre plus particulièrement en avant. La croissance démographique qui se poursuit à un rythme élevé et la pauvreté, qui lui est attachée tout en la renforçant, et qui devient de plus en générale, de plus en plus marquée.

A/  Une population de plus en plus nombreuse

L’Afrique est aujourd’hui, en termes des différentes évolutions de sa population, le continent qui accumule tous les retards. Même si la situation n’y est pas homogène selon qu’on s’y situe au nord, au sud ou au centre, ou encore selon qu’on y fasse partie des pays à dominante arabophone, anglophone ou francophone - sans que la langue soit, bien évidemment, un élément qui justifie quoi que ce soit en lui-même.

Comme cela est indiqué dans le tableau 1 ci-après, d’où il ressort que ce sont les régions les plus pauvres, souffrant des plus bas niveaux d’instruction, qui enregistrent les plus faibles espérances de vie à la naissance et qui connaissent les taux de croissance de la population les plus élevés.

Ce que les démographes appellent la ‘’Transition démographique‘’[11] semble être, en Afrique subsaharienne, bloquée à ses premières étapes où la forte baisse de la mortalité est encore faiblement contrebalancée par la diminution de la natalité.

Une telle situation, fortement déterminée par l’ensemble des variables socio économiques, culturelles et politiques signant le présent des sociétés africaines, n’est aucunement à mettre en doute dans son ampleur dans la mesure où elle est la résultante d’un faisceau de paramètres démographiques qui font désormais de l’Afrique une espèce d’exception  à l’échelle mondiale .

Les pays africains dans leur ensemble enregistrent, en effet, le taux de natalité le plus élevé ainsi que le niveau de mortalité le plus bas au Monde. Ils connaissent, en conséquence, le taux de croissance naturelle de la population le plus rapide, soit 3% d’accroissement annuel, pour un taux moyen de croissance de 1,7 %, tous continents confondus.

Tableau 1 : Taux de croissance démographique et espérance de vie à la  naissance dans les différentes régions du monde, 1995-2000

Région

Taux de natalité

(p.1000)

Taux de mortalité (p.1000)

Croissance naturelle,  en

(%)

Espérance de vie à la naissance

Monde

Europe

Amérique Latine et Caraïbes

Amérique du Nord

Asie

Océanie

Afrique

      dont :

Afrique du Nord

Afrique du Sud

Afrique de l’Ouest

Afrique de l’Est

Afrique Centrale

22,1

10,3

23,1

13,8

21,9

17,9

38,0

27,7

28,3

40,4

42,4

44,7

8,9

11,3

6,5

8,3

7,7

7,7

13,9

7,3

12,3

15,0

17,5

15,3

1,3

- 0,1

1,7

0,5

1,4

1,0

2,4

2,04

1,6

2,5

2,5

2,9

65,4

73,3

69,2

76,9

66,3

73,8

51,4

64,8

54,4

49,9

45,4

50,1

Source : World population monitoring. United Nations, New York 2000.

Le taux de croissance naturelle de la population africaine dans son ensemble représente 184 % la moyenne mondiale, et près de 5 fois le taux nord-américain, alors que le taux de natalité en Afrique centrale (et de l’Est) représente le double de son équivalent à l’échelle mondiale.

De la sorte, et comme indiqué dans le tableau ci-après, l’Afrique qui comptait 221 millions d’habitants en 1950 et 8,7% de la population mondiale de l’époque, en compte aujourd’hui près de 800 millions (soit près de 13,5% de la population mondiale), et devrait regrouper 1,3 milliard d’habitants en 2025 et 1,76 milliard en 2050.

Tableau 2 :  Estimations et projections de la population, par région, 1950 – 2025.

         Régions                                          Population en millions

                                                                      ( pourcentage )

                                          1950                            2000*                                2050*

                                                                                                         (a)                       (b)

Monde

Pays industrialisés

Ensemble P.V.D.

Dont: Afrique

Amérique du nord

Amérique Latine

Asie

Europe

Océanie

2.519

(100 )

814

(32,24)

1.706

(67,79)

221

(8,7)

172

(6,8)

167

(6,6)

1.399

(55,6)

548

(21,7)

13

(0,5)

6.057

(100 )

1.191

(19,66)

4.865

(80,32)

794

(13,11)

314

(5,18)

519

(8,56)

3.672

(60,62)

727

(12)

31

(0,5)

9.332

( 100 )

1.181

(12,65)

8.141

(87,23)

2.000

(21,4)

438

(4,7)

806

(8,63)

5.428

(58,16)

603

(6,46)

47

(0,5)

10.934

( 100 )

1.309

(11,97)

9.625

(88)

2.320

(21,21)

502

(4,6)

975

(8,91)

6.430

(58,8)

654

(5,98)

53

(0,5)

Source : World Population Prospects : The 2000 Revision, Volume II: Sex & Age. United Nations, New York, 2001. * estimations (a) hypothèse moyenne ; (b) hypothèse haute.

En 2050, quelle que soit l’hypothèse retenue, un habitant sur cinq  qui peupleront alors la terre vivra sur le continent africain, contre moins de un sur dix un siècle plus tôt.

Pour l’heure, en l’espace de 50 ans la population africaine aura été multipliée par plus de 3,6 fois, lorsque l’ensemble de la population mondiale n’aura été multipliée que par un peu plus de 2,4 fois.

Ces prévisions ont été faites bien que l’Afrique soit aujourd’hui la région du monde la plus affectée par le SIDA, qui a été à l’origine directe de la mort, en 2002, de 2,4 millions de personnes (adultes et enfants) en Afrique subsaharienne, sur un total mondial de 3,1 millions de décès la même année. Et, de fait, l’Afrique au sud du Sahara enregistre aujourd’hui le nombre le plus élevé de personnes atteintes de SIDA au monde. Ainsi, en décembre 2002, sur 10 personnes atteintes de cette pandémie, 7 étaient africaines et vivaient quasiment toutes au sud du Sahara.

Agent de blocage supplémentaire de la transition démographique[12], le SIDA, qui affecte près de 30 (29,4) millions d’Africains[13], est un indicateur, tout à la fois, de l’état de pauvreté des personnes, de la désagrégation des systèmes nationaux de prévention et de la profonde crise économique et sociale que connaissent les régions qui en sont affectés. Il constitue désormais, également, un facteur aggravant de la pauvreté. ‘’Des épidémies graves  et de longue date plongent  des millions de personnes dans la misère et le désespoir, au fur et à mesure que leur capacité de travail s’affaiblit, que leur revenu diminue, que leurs biens s’amenuisent et que leurs ménages sont anéantis. L’épidémie (du Sida) prive les ménages et les communautés de la capacité à produire et à acquérir de la nourriture, transformant une pénurie en crise alimentaire‘’[14].  Ce qui ajoute un autre facteur structurel de blocage à tous les autres que connaît, depuis de très longues décennies, l’Afrique.

B/  Une pauvreté qui s’aggrave en se généralisant

La situation économique et sociale en Afrique s’inscrit depuis le milieu des années 1960, et surtout depuis le début des années 1980, dans une dynamique de régression qui s’exprime nettement par le recul à grande échelle des taux de croissance  du Produit intérieur brut (PIB) et du revenu par habitant.

Ainsi, pour l’ensemble de l’Afrique, le taux de croissance du PIB qui se situait aux environs de 6% par an entre 1965 et 1970 est passé à près de 0% à la fin des années 1980 et au début des années 1990, avec cependant de gros écarts entre les pays d’Afrique du Nord, l’Afrique du Sud et le reste du continent, notamment en Afrique de l’Ouest et sahélienne.

Pour le début de l’actuelle décennie, le dernier rapport annuel sur les pays les moins avancés publié par la CNUCED en 2002 indique, en particulier, que la proportion de la population vivant dans ‘’l’extrême pauvreté‘’, c’est-à-dire celle qui dépense moins de un dollar américain par jour, dans les pays africains les moins avancés est passée de 56 % pour la période 1965-1969 à 65 % pour la période 1995-1999.

La CNUCED, qui estime le nombre des pays les moins avancés (PMA) à 48[15], considère que 32 parmi eux sont des pays africains. Parmi ces derniers, on retrouve tous les pays limitrophes, ou très proches,  des frontières algéro-libyenne (le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso ou le Bénin[16]) de même que la République Démocratique du Congo ou la Sierra Leone, dont les migrants sont très présents entre Afrique et Europe. On ne rencontre pas, cependant, le Nigeria qui, avec au moins 124 millions d’habitants, et un PIB moyen par habitant inférieur à 300 USD, est aujourd’hui un des pays de départ, effectif et potentiel,  de premier plan à l’échelle du continent africain.

Parallèlement à cela, et en partie cause et conséquence majeures de cela, l’Afrique subsaharienne connaît un endettement extérieur en très forte croissance. La dette extérieure  de la région a été multipliée par plus de 3,3 fois en 20 ans, passant de 60,6 milliards de dollars US en 1980 à 206,1 milliards de dollars en 2000. Durant la même période, le ratio stock de la dette extérieure sur PNB est passé de 23,4 % à 66,1 %, alors que le service de la dette extérieure est passé de 6,7 milliards de dollars en 1960 à 14,8 milliards de dollars en 2000,  en représentant à la même année 12,8 % des recettes d’exportation de la région contre 7,2 % vingt ans plus tôt, réduisant d’autant les revenus disponibles pour les ménages et les ressources possibles pour d’éventuels investissements publics ou privés[17].

De tout cela on peut retenir, notamment dans le cas de l’Afrique subsaharienne – qu’il est possible d’étendre, pour ce qui concerne la problématique migratoire, jusqu’aux confins de la République d’Afrique du Sud -  trois conclusions majeures :

·        A prix constants, la pauvreté des plus pauvres , au début du 21ième siècle, est beaucoup plus accentuée qu’elle ne l’était 40 ans plus tôt.

·        Combinaison de ces deux éléments, et de la croissance démographique signalée plus haut, les plus pauvres sont aussi de plus en plus nombreux et forment désormais une véritable ceinture à la lisière sud de l’ensemble des pays du Maghreb.

·        La posture dans laquelle se situe aujourd’hui l’Afrique, notamment sa partie subsaharienne, est une posture de sous-développement et de régression, et si rien de significatif n’est fait à brève échéance, sur les plans financier et économique pour y envoyer plus de ressources qu’il n’en sort, et sur les plans institutionnel et politique internes, pour y ramener un minimum de calme et de stabilité, sans lesquels les investissements créateurs de richesses et d’emplois ne sont pas possibles, la région est menacée par une véritable catastrophe humaine, indicateur d’une plus forte propension aux migrations à moyen et long termes[18].

·        Ampleur actuelle de ce phénomène

Les informations disponibles relativement au nombre de migrants subsahariens en situation irrégulière transitant par le Maghreb vers l’Europe, ou s’installant au Maghreb (par défaut ou comme ultime étape de leur projet migratoire), ou de Maghrébins immigrés, installés irrégulièrement en Europe occidentale, proviennent de différentes sources, souvent non concordantes, et sont très disparates et très partielles, selon leurs origines

Nous disposons à ce propos de chiffres publiés par les autorités espagnoles (Ministère du travail, Garde civile, journaux… ). Ils sont les plus suivis et semblent aussi être les plus complets. Il y a aussi certaines données partielles publiées sporadiquement par les autorités marocaines ou algériennes. A ces sources, il faut ajouter les informations tirées d’études menées par différents chercheurs (généralement de manière isolée) au Maroc, en Algérie, en Libye, ou en Tunisie de même que celles qui sont tirées des médias écrits, aussi bien au Maghreb qu’en Europe.

Mis bout à bout, les différents chiffres recueillis conduisent à mettre en avant certaines données basiques, concordantes :

·        Le nombre de migrants a fortement progressé au cours des dernières années;  mais, cependant, sa plus grande visibilité – aussi bien effective, dans les grandes artères et places de certaines villes (Las Palmas, Madrid, Barcelone, Paris, Marseille, Milan, Pise ou Florence…) que médiatique et politique – au travers notamment de la montée en force de mouvements xénophobes - n’exprime pas ce que l’on pourrait qualifier de « Bomba migratoria » ou « Bombe migratoire », comme cela a été souvent écrit par la presse espagnole, en particulier[19].

·        Les pays concernés  sont devenus plus nombreux et la part des migrants de chacun dans l’ensemble est devenue plus significative.

·        Les migrations de citoyens de pays du Sud du Sahara ne concernent encore, que dans une faible mesure, l’Europe, puisque, pour la plupart, les migrants sub-sahariens s’installent pour des périodes plus ou moins longues au Maghreb, en Libye, en particulier, en Algérie, dans une moindre mesure, et de plus en plus au Maroc.  On estime ainsi à plus de 2 millions le nombre de personnes du Sud du Sahara vivant actuellement en Libye.

Grosso-modo, les chiffres tirés de différentes sources indiquent que le nombre de migrants subsahariens accédant au Maghreb par ses frontières sahariennes se situerait entre 65.000 et 80.000 annuellement, au cours des dernières années.

Sur ce chiffre estimatif, 80 % des migrants se dirigent vers la Libye, et 20 % , soit entre 13.000 et 16.000, vont en Algérie. Toutefois,  sur les 80 % allant en Libye, une partie impossible à chiffrer – qui varie fortement selon la politique du moment suivie par les autorités libyennes vis-à-vis des pays d’Afrique subsahariennes – repasse sur le territoire algérien, pour suivre la filière ‘’algéro-marocaine‘’ à destination de l’Europe.

Une partie de ces migrants reste en Algérie, pour être employée dans différents travaux agricoles ou de transport à Tamanrasset et sa région, ou en tant que domestiques et prestataires de différents services à Alger ou Ghardaïa (creusement de canaux, travaux de terrassement, petit commerce, cordonnerie, coiffure…). Mais, dans leur plus grand nombre, ils ne font que transiter par le territoire algérien – en y travaillant en chemin pour faire face à leurs multiples dépenses, notamment de transport – pour se diriger vers le Maroc; pour pouvoir aller ensuite en Espagne, ou, à défaut, pour rester au Maroc, qui semble constituer de plus en plus une destination finale pour certains citoyens de pays comme le Sénégal, le Mali, ou la République Démocratique du Congo.

Les données publiées au cours des dernières années – devenues plus affinées et plus précises à mesure que les contrôles se sont renforcés - par les autorités espagnoles semblent corroborer ces estimations, puisque le nombre de subsahariens arrêtés par les forces de sécurité hispaniques  a varié de 142 en 1996 à 3.431 en 2000, comme cela est indiqué au tableau ci-après (on estime généralement, jusqu’à présent, que pour un migrant arrêté, deux à trois ont pu échapper aux contrôles).

Tableau 3 : Immigrés arrêtés dans le Détroit de Gibraltar entre 1993 et 2000.

ZONE DU DÉTROIT DE GIBRALTAR

Total

Nationalités

Année

Marocains

Algériens

Reste de l’Afrique

Autres

D. Gibraltar

1993

4952

1994

4189

1995

5287

1996

6701

815

142

83

7741

1997

5911

1050

113

274

7348

1998

5724

1002

76

229

7031

1999

5819

661

148

550

7178

2000

12858

253

3431

343

16885

Source : Garde civile espagnole. Pablo Pumares, Etude BIT sur les

‘’Migrations irrégulières à travers et vers le Maroc‘’. Genève, août 2002.

L’augmentation du nombre de migrants arrêtés étant liée aussi bien à l’accroissement du nombre total de migrants transitant vers l’Espagne qu’au renforcement et au perfectionnement des systèmes de surveillance mis en place au large des côtes ibériques, de même qu’au large des Iles Canaries, où le nombre de clandestins (toutes nationalités confondues) arrêtés est passé de 875 en 1999 à 2.387 en 2000 (aucune arrestation n’ayant été signalée au cours des années antérieures).

 

Tableau  4. Immigrés arrêtés dans le Détroit de Gibraltar et au large des îles Canaries

selon le lieu d’interception (1996-2000)

Lieu d’interception

ZONE DU DÉTROIT

Total

Canaries

Année

Mer/Côte

Polissons

Intérieur

Frontière

D. Gibraltar

(*)

1996

3074

282

1433

2952

7741

1997

2558

801

2076

1913

7348

1998

2880

674

1885

1592

7031

1999

3606

410

2213

949

7178

875

2000

14488

431

1362

604

16885

2.387

Source: Guardia Civil, citée Pablo Pumares. Etude BIT sur les ‘’Migrations irrégulières à travers et vers le Maroc‘’. Genève, août 2002.

(*) Delegación del Gobierno para la Extranjería (seulement les arrestations dans des

embarcations ou sur la ligne de côte).

A ce niveau, les données portant sur les arrestations au large des Îles Canaries montrent une très forte progression au cours des 7 premiers mois de 2002 par rapport à la même période de 2001, et par rapport à l’ensemble de l’année 2000.

Ainsi, selon ‘’la Provincia Digital ‘’, site internet des Îles Canaries[20], le nombre de migrants arrêtés à leur débarquement sur les îles de l’archipel canarien, principalement à Fuerteventura, a atteint, de janvier à fin juillet 2002, 2.571 personnes, à bord de 145 embarcations interceptées. Ce nombre représente 102 % d’augmentation par rapport à la même période de 2001, où 1.269 migrants clandestins ont été arrêtés. En 2001, 60 % des immigrants arrêtés étaient originaires de pays d’Afrique subsaharienne, et 40 % du Maroc. En 2002, la proportion de Marocains serait passée à 50 % de l’ensemble. Globalement, il y aurait, en moyenne,  arrestation de 15 migrants par jour.

L’augmentation du nombre de migrants débarquant à Fuerteventura peut être mise en parallèle avec la chute de celui des candidats à la migration arrêtés au port de Tanger. Ainsi, selon les autorités policières de cette ville, le nombre de ceux-ci s’est élevé à ‘’seulement‘’ 598, entre les mois de juin et de août 2002, contre 2.343 pour la même période de 2001. La proportion de Subsahariens dans ces nombres étant d’à peu près le tiers[21].

Cette baisse serait due à une plus grande fermeté de la police et au renforcement des protections autour des points d’accès possibles au port de la cité du nord-ouest du Maroc, principale voie de passage de milliers de Marocains travaillant et vivant en Europe[22]. Et de fait, les journaux marocains ont relaté l’arrestation, entre le 20 et le 22 septembre 2002, dans différentes auberges de l’ancienne médina de Tanger, contiguë au port, de 1.053 candidats à l’émigration, dont 890 Marocains et 163 personnes originaires d’Afrique subsaharienne[23].

Parallèlement, les services de la sûreté nationale marocaine ont annoncé avoir arrêté, dans un refuge boisé au mont Gourougou, à 12 km de la ville de Nador, au nord du Maroc, 1.509 migrants clandestins (dont 1.249 subsahariens et 257 Algériens). Ces personnes ont été expulsées par la frontière maroco-algérienne entre janvier et août 2002[24].   Et, depuis octobre 2002, il ne se passe pas de semaine sans que police marocaine ou « Guardia civil » espagnole n’annoncent entre 50 et 250 arrestations de migrants, aussi bien maghrébins que subsahariens.

La Commission européenne, dans le cadre d’une mission d’identification au Maroc sur la ‘’Gestion des contrôles frontaliers‘’[25] a reçu du gouvernement marocain des informations sur le nombre d’arrestations de migrants clandestins, marocains et étrangers, opérées par ses services de sécurité. Ce nombre aurait été de 24.409 personnes en 2000, dont 9.353 Marocains, et de 26.427 en 2001, dont 13.327 Marocains.

Pour cette dernière année, le décompte des migrants subsahariens arrêtés au Maroc était le suivant, selon les principales nationalités concernées.

Tableau 5: Migrants subsahariens arrêtés au Maroc en 2001

Pays d’origine

Total migrants arrêtés

Sierra Leone

2.245

Mali

1.625

Sénégal

1.177

Nigeria

798

Guinée

519

Ghana

480

Congo

149

Source : Mission d’identification au Maroc, juillet/octobre 2002 ; Commission européenne. Rapport final.

Pour les 6 premiers mois de l’année 2002 , l’administration marocaine a dit à la mission avoir intercepté 13.277 migrants, dont 6.275 Marocains. Cependant, pour toute l’année 2002, il n’y aurait eu, selon la gendarmerie marocaine arrestation que de 3017[26] migrants entrés clandestinement au Maroc.

Pour la même année, les autorités algériennes ont annoncé quant à elles l’arrestation de 4.118 migrants clandestins, dont 268 femmes.

Mais, cette bataille de chiffres et de déclarations de fermeté est probablement une des manifestations liées à l’approche faite, aussi bien par l’Espagne que par le Maroc, des nombreux différends (ou conflits qui alourdissent un lourd contentieux allant du refus du Maroc de signer en 2000 un autre accord de pêche avec l’UE - pour le compte final de l’Espagne - à la revendication par les Marocains des enclaves de Ceuta et Melilla et de différentes îles au large des côtes méditerranéennes marocaines, et encore sous domination espagnole ) qui les opposent depuis de nombreuses années.

Les Espagnols n’hésitant pas à soutenir qu’à chaque conflit entre les deux pays, il y a une augmentation des embarcations transportant des migrants à partir du Maroc, ce qui démontrerait « l’existence d’une forme de pression exercée à travers le contrôle de la migration » par les Marocains. Dans ce sens, l’incident de l’îlot du Persil (Perejil pour les Espagnols, et île de Leïla pour les Marocains) du mois de juillet 2002 n’est pas isolé du reste du contentieux maroco-espagnol[27]. Alors que les données fournies par les autorités marocaines montrent, justement, que malgré les situations répétitives de crise entre le Maroc et l’Espagne, la police et la gendarmerie marocaines font preuve de plus en plus de vigilance pour limiter les flux migratoires vers l’Espagne au départ du Maroc[28].

Au demeurant, les chiffres concernant les migrants clandestins en provenance de différents pays d’Afrique subsaharienne arrêtés en Espagne doivent être relativisés, comme doit être autrement appréciée la menace de ‘’la bombe migratoire‘’, qui pèserait actuellement sur l’Espagne et qui en fait, aujourd’hui, un des pays de l’UE les plus en pointe pour appeler à l’adoption de politiques de fermeté et de rétention à l’égard des pays qui ne ‘’collaboreraient pas suffisamment‘’ pour réduire la pression migratoire dont ils sont à l’origine ou qui ‘’faciliteraient‘’ le transit par leurs territoires de migrants clandestins, ce qui correspond, dans les deux cas, à la situation du Maroc.

Dans ce sens, Pablo Pumares, professeur à l’Université d’Alméria au sud-est de l’Espagne, soutient que ‘’ L’immigration subsaharienne pose dans toute sa dureté les contradictions de la politique des frontières et son reflet dans l’opinion publique. Son importance numérique est réduite, même si sa tendance est à une hausse plus forte que l’immigration en provenance d’autres zones. Néanmoins, différents aspects méritent fortement l’attention : l’arrivée dramatique des migrants à bord de « pateras », leur concentration dans des enclaves fermées comme Ceuta et Melilla ou les Îles Canaries et leur apparente impunité lorsqu’ils sont arrêtés en tentant d’entrer dans le pays. En raison de ces caractéristiques, ils font en permanence la une des périodiques, qui contribuent de manière décisive à renforcer l’idée que l’invasion arrive d’Afrique et en « patera », et à exacerber la peur face à cette immigration qu’il est impossible de contrer, sans tenir compte du fait que cette modalité d’entrée est minoritaire (autour de 20 %) par rapport à ceux qui entrent comme touristes, en particulier en provenance de pays latino-américains, et qui ensuite restent sur le territoire, ainsi que du fait que les Africains représentent moins du tiers (les Subsahariens représentant 5 %) des étrangers résidant en Espagne[29]‘’.

Plus précisément, l’Espagne arrive aujourd’hui au 13ième rang parmi les pays de l’UE en matière d’accueil d’étrangers non européens. La population non originaire d’autres pays de l’Union qui y vit ne dépasse pas 2 % de sa population totale, soit un peu plus que la Finlande ou que le Portugal ( qui font part, respectivement, de 1,7 %  et 1,9 % d’étrangers parmi la population totale), lorsque en Autriche, en Allemagne ou en Belgique, près d’une personne sur dix est étrangère ( 9,2 % en Autriche, 8,9 % en Allemagne et 8,8 % en Belgique)[30]. Pareillement, la population active étrangère en Espagne ne représente que 1 % de la population active espagnole totale, lorsque cette proportion se situe à 10 % en Autriche, à 8,8 % en Allemagne ou à 5,8 % en France. 

·        Voies et filières migratoires vers et à travers le Maghreb – le migrant-type

Pourquoi le transit par le Maghreb ?

Le transit par les pays du Maghreb, particulièrement par l’Algérie et le Maroc, s’explique par des raisons géographiques – proximité de l’Europe, le Maroc n’étant qu’à 14 km de la côte sud-espagnole – et aussi par des raisons historiques, parfois culturelles et religieuses, et par des motifs socio-économiques qui peuvent être la possibilité de travailler sur place, tout le courant du chemin migratoire, ou tout simplement l’opportunité de rester en cas d’abandon ou d’échec du projet migratoire initial.

Il est explicable également par l’existence de filières et réseaux de migration, en Algérie et surtout au Maroc, mis en place et renforcés  progressivement avec la généralisation, depuis le milieu des années 1980, du système de visa pour accéder à l’ensemble des pays européens. Cet élément parvenu à son plein régime avec l’institution de l’Espace Schengen  après 1992, a rendu le « chemin migratoire maghrébin » central pour tous les candidats potentiels à la migration irrégulière, désormais dans l’impossibilité d’aller directement à partir de leurs pays d’origine, par la voie aérienne notamment, vers l’Europe ou encore l’Amérique du Nord.

En réalité, des mouvements migratoires importants ont toujours existé entre la zone sahélienne et l’ensemble des pays du Maghreb, Mauritanie exceptée  ( soit, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc), et cela en rapport avec les relations historiques et commerciales importantes que les deux espaces enregistraient au cours des siècles passés. Ces mouvements qui ont conduit à l’installation et à l’intégration définitive de très nombreux Africains subsahariens au Maghreb ont connu un regain d’intensité à la faveur de l’accroissement du différentiel de revenus et de richesses entre ces deux ensembles, surtout à la suite de la découverte de pétrole dans un pays sous-peuplé comme l’est la Libye, ou dans le centre et le sud de l’Algérie. Et, désormais, la plupart des migrants nigériens, maliens ou tchadiens ne partent que pour la Libye ou l’Algérie voisine pour des périodes plus ou moins longues, déterminées par la possibilité où ils se trouvent d’économiser suffisamment pour faire face aux besoins de leurs familles laissées au pays, ou qu’ils ont pu amener à leur suite durant les premières années du boom pétrolier, notamment dans le sud algérien, très peu peuplé et aux conditions de vie autrement plus difficiles qu’en Algérie du nord..

A titre d’illustration de ce fait, il est possible de citer l’exemple de la ville de Tamanrasset qui a vu sa population passer de 3.000 personnes, dont 332 subsahariens, en 1966, à 65.000 personnes, dont 31.300 subsahariens, essentiellement des Nigériens et des Maliens, en 1998[31].

Le Maroc, quant à lui, a de tous temps eu des relations d’échanges humains fortes avec des pays tels que le Sénégal, la Guinée, le Mali ou le Niger, surtout à un moment où l’influence directe des Sultans marocains arrivait jusqu’au sud du Sahel. Commerçants et confréries religieuses sénégalais ou maliens avaient leurs habitudes (qu’ils maintiennent encore), avec différentes régions du Maroc, notamment Fès. Le Maroc a, par ailleurs, ouvert depuis son indépendance ses Facultés et grandes écoles aux étudiants d’Afrique subsaharienne, y compris en accordant à une partie parmi eux des bourses de l’Etat, dont des Sénégalais, Ivoiriens, Maliens, Nigériens, Guinéens, Centrafricains, ou Mauritaniens, auxquels sont venus s’adjoindre des étudiants du Congo, et surtout de l’ex-Zaïre - actuelle République Démocratique du Congo.

Une telle configuration, instituant au fur des années, une véritable structure d’information et d’accueil, est apparue comme très propice aux nouveaux arrivants du milieu des années 1990, y compris les ressortissants du Nigeria, de Sierra Léone, ou du Liberia, poussés à l’exode par la guerre civile ou des troubles intérieurs violents, lorsque les nouvelles donnes africaines et la fermeture de la frontière extérieure de l’Europe ont fait du Maghreb une étape obligée dans le chemin migratoire de milliers de personnes. Etape qui peut constituer une simple halte, comme elle peut devenir durable, pour se transformer en objectif ultime de la migration.

De la sorte, il semble bien qu’il existe en la matière une sorte de partage entre l’UE et les différents pays du Maghreb où ces derniers résorberaient, comme indiqué ci-après, la plus grande part des flux de Subsahariens migrant à la recherche de meilleures conditions de vie, ou tout simplement pour leur survie.

Ce partage est toutefois biaisé par le fait que nombre de Marocains, d’Algériens, et, dans une moindre mesure, de Tunisiens, quittent leurs pays dans les mêmes conditions d’irrégularité, alors qu’ils sont citoyens de pays autrement plus nantis que les pays Sud-sahariens.    

Voies et filières de migration

Les filières migratoires entre pays sahéliens et Maghreb se nouent dans les confins sud-algérien et sud-ouest libyen, principalement aux frontières séparant la Libye du Niger et du Tchad, l’Algérie du Mali, et surtout du Niger, et l’Algérie de la Libye. Cela représente un immense espace, aux conditions climatiques extrêmes, où ‘’convoyeurs‘’ de migrants de toutes origines, pour toutes destinations, cohabitent avec des forces de sécurité de toutes natures, plus ou moins sévères, plus ou moins accommodantes selon les besoins et les vicissitudes du moment

Dans cet espace, deux villes représentent des nœuds d’échanges (et de fixation) importants. Il s’agit d’Agadez, ville de 100.000 habitants, qui en comptait près de 30.000 en 1985, au nord du Niger, entre Sahel et Maghreb, c’est-à-dire, entre l’ensemble de l’Afrique noire et les pays arabes d’Afrique du Nord et Tamanrasset, ancien petit patelin à un peu moins de 2.000 Km d’Alger, passé de moins de 3.000 habitants en 1966, à un peu plus de 70.000 en 1998.

Entre ces deux cités, le ‘’tri ‘’ se fait entre migrants selon qu’ils cherchent à aller (pour travailler et s’installer, éventuellement) en Libye[32] ou qu’ils visent l’Europe, ou, le cas échéant, une installation en Algérie ou au Maroc. L’Algérie connaissant par ailleurs un afflux important de travailleurs saisonniers maliens et nigériens[33].

Une fois les migrants sur le départ vers l’Europe passés au nord du Sahel, plusieurs filières de ‘’convoyage‘’ se mettent en place, selon des axes sud-nord, sud-nord-ouest, en Algérie, puis entre l’Algérie et le Maroc, puis au Maroc même, et entre le Maroc et l’Espagne et les autres pays d’accueil, principalement la France et l’Italie.

La filière marocaine (ou les filières marocaines) doit disposer de ramifications dans l’ensemble des villes où passent les migrants en partance pour l’Espagne. Les membres de cette filière peuvent être contactés par des ‘’candidats à la migration‘’ à partir de leurs villes de départ. Plusieurs Camerounais, Maliens ou Congolais nous ont ainsi déclaré  avoir pris contact par téléphone ou E.mail avec leurs ‘’correspondants ‘’ depuis Bamako ou d’autres villes africaines.

Plusieurs filières peuvent être identifiées selon les lieux de départ et d’embarquement. On parlera, pour ce qui concerne le Maroc, d’une filière Rabat-Sud ( avec embarquement dans les eaux marocaines sud et débarquement à Fuerteventura), d’une filière Rabat-Nord, intégrant la ville de Tanger, avec embarquement dans les alentours de Tanger et sur l’ensemble de la côte méditerranéenne, entre Tanger et Tétouan-Ceuta, et à l’est de Tétouan , et débarquement au large de Tarifa, et plus généralement entre Algéziras et Malaga, ou tout simplement à Ceuta, et  d’une filière Oujda-Nador, avec embarquement au Nord-Est du Maroc et débarquement entre Malaga et Almeria. Ces filières pouvant parfaitement fonctionner en interaction.

Nous avons pu, à Las Palmas, avoir une longue présentation de la filière Rabat-Sud – présentation recoupée par de nombreux témoignages :

Après les différentes prises de contact entre migrants et convoyeurs ou leurs aides, le regroupement des migrants en partance se fait à Rabat (généralement au quartier Attakaddoum), le jour du départ. Le voyage, par petit groupe, se fait directement vers Agadir par bus de nuit (les contrôles effectués par les gendarmes étant généralement moins fréquents la nuit).

A Agadir les migrants sont regroupés dans des habitations (appartements ou villas) à la disposition des convoyeurs. Le séjour dans ces habitations peut durer plusieurs jours, soit dans l’attente de compléter le nombre prévu (entre 22 et 30 personnes) par embarcation, soit pour des raisons de sécurité, même dans le cas où le nombre de passagers est estimé suffisant (pour rentabiliser le convoyage). Pendant le séjour à Agadir, il est demandé aux migrants de rester discrets, et de ne pas sortir dans la rue, et s’il y a une nécessité absolue de sortir, de le faire dans des conditions vestimentaires et de propreté qui ne permettent pas de les distinguer des étudiants d’Afrique subsaharienne, présents en grand nombre dans les écoles privées et dans certaines facultés de la grande métropole industrielle et touristique du centre-sud marocain.

Le départ d’Agadir se fait de nuit, dans des véhicules 4x4  bâchés, d’abord par la route principale vers le sud du Maroc, puis par des pistes, pour éviter les contrôles policiers plus fréquents à mesure que l’on s’approche des provinces du Sahara ex-espagnol.

Après un parcours compris entre 600 et 800 Km, arrivée au point d’embarquement, quelque part entre Layoune et Boujdour (ni trop près des cités pour ne pas être rapidement repérés, ni trop loin pour ne pas trop attirer l’attention).

Pour éviter tout risque de contrôle en mer, le départ se fait de nuit, en barquette équipée d’un petit moteur, ne disposant d’aucun feu, à l’exception de torches de poche à la disposition de la personne (un Marocain) chargée de mener les migrants, après un parcours de 40 à 60 milles nautiques, vers l’île canarienne de Fuerteventura.

La traversée se fait, lorsque les conditions sont ‘’bonnes‘’ (c’est-à-dire lorsque la mer est calme, qu’il n’y a pas eu de panne de moteur et qu’il n’y a pas eu de contrôle à éviter) en 19/20 heures, autrement elle peut durer jusqu’à trois jours.

Le débarquement s’effectue – au cours de la nuit, ou aux premières heures de la journée - au sud de Puerto del Rosario, principale ville de Fuerteventura, située presque à équidistance entre les pointes nord et sud de l’île.

La zone est montagneuse, aride et peu habitée (sans lumières) d’où les doutes des arrivants à propos du fait qu’ils débarquent réellement en ‘’Europe‘’. Ces doutes ne se dissipant qu’à l’arrivée dans un centre habité, à la rencontre de voitures dont les plaques minéralogiques indiquent qu’elles sont espagnoles, de personnes espagnoles ou de la police, au devant de laquelle  certains migrants subsahariens vont d’eux-mêmes, une fois assurés qu’ils sont bien en Espagne.  Suivent alors toutes les procédures espagnoles allant de l’identification des nouveaux arrivants à leur emprisonnement (pour au maximum 40 jours sur les lieux de détention mis en place à cet effet) puis à leur ‘’libération‘’ et leur abandon sur une des places de la ville de Las Palmas. De là, ceux qui peuvent disposer de moyens sont en mesure de prendre un avion pour Madrid ou tout autre grande ville espagnole sur le continent, les autres sont pris en charge, pour un temps, par des centres de la Croix rouge, très active à ce propos.

Encadré I : le Migrant-type

C’est un Congolais, un Camerounais, Malien ou un Nigérian. Elève, de parents modestes (mère infirmière ou sans emploi, père transporteur ou petit commerçant, dans de très rares exceptions professeur ou chef d’entreprise) il a arrêté le lycée dans les premières années de sa scolarité, ou à l’obtention de son baccalauréat. Il est aussi étudiant, avec une licence ou un diplôme équivalent en gestion ou en commerce international, et n’a pas pu finir sa scolarité supérieure. Il est parti après en avoir informé sa famille, ou, au moins sa mère, qui l’a soutenu (encouragé !) et a contribué à réunir les ressources nécessaires pour l’aider dans son périple. Il est passé par Bamako ou par Niamey, puis, de là par Agadez, puis Tamanrasset puis Maghnia, puis Oujda, puis Fès puis Rabat. Parfois, lorsqu’il en a les moyens, et qu’il a pu avoir un faux passeport, puis un faux visa pour études, il a pu atterrir directement à l’aéroport Mohammed V de Casablanca, venant du Mali, du Sénégal, de Côte d’Ivoire ou de Guinée.

Il a pris contact par téléphone (ou, par internet), dès son point de départ, ou à partir Bamako, avec le représentant, marocain ou étranger (Africain du sud du Sahara, très souvent un Nigérian, parfois un Ivoirien ou un Sénégalais) du réseau de migration qui opère à Rabat.

Le transit par l’Algérie a été mis à profit pour arrondir les économies emportées dès le pays d’origine. Là, tous les métiers sont bons. Cordonnerie, coiffure, commerce ambulant de produits alimentaires, manutention, transbordement de marchandises….

Une à deux semaines après l’arrivée au Maroc, pour les plus motivés, ceux qui n’avaient aucune envie de rester au Maroc, et pour les « fortunés », le processus de passage en Europe se met en marche grâce à la prise de contact direct avec le réseau de migration. Le transport est alors assuré par ce même réseau vers Tanger ou vers le sud du Maroc.

Le « contrat », bien évidemment verbal et sans aucune garantie – à l’exclusion de la ‘’renommée du réseau’’ en cas de défaillance volontaire – est acquis contre le paiement d’une somme forfaitaire fixée en fonction de la nationalité des migrants.

Pour les Marocains adultes, cette somme varie de 5 à 8.000 dirhams, pour les Marocaines, elle est, en moyenne de 5.000 Dhs, pour les enfants mineurs (13 à 15/16 ans), elle de 2.000 dirhams. Pour un Africain subsaharien francophone (réputé relativement démuni), elle est de 8.000 dirhams, et pour un Africain subsaharien anglophone (réputé plus débrouillard et plus riche, ce qui est considéré être le cas, plus particulièrement, des Nigérians), elle est de 12.000 dirhams. Le différentiel de prix entre un francophone et un anglophone est généralement expliqué, également, par des risques plus grands encourus en cas de ‘’capture‘’ de ce dernier.                     

·        Conséquences des migrations irrégulières sur le Maghreb

Outre leurs effets sur les relations politiques et diplomatiques entre les pays du Maghreb, le Maroc en particulier, et les pays de l’Union européenne, notamment l’Espagne, les migrations irrégulières telles qu’elles évoluent depuis plus de 10 ans, ont de nombreuses conséquences à différents niveaux sur les sociétés marocaine, algérienne et tunisienne, conséquences, cependant, jusqu’à présent relativement peu perceptibles à l’échelle nationale, vu le nombre encore réduit de migrants.

L’une des plus importantes conséquences pour les pays du Maghreb découle du fait que, échaudés par les difficultés qu’ils rencontrent sur le chemin migratoire les conduisant en Europe, un nombre de plus en plus important de migrants subsahariens opte désormais pour une installation en Algérie (principalement dans le sud algérien) ou dans différentes localités marocaines.

L’Algérie, depuis bien longtemps,  et le Maroc depuis peu, semblent être devenus des espaces d’immigration, par «défaut» peut-on dire, alors que jusqu’au début des années 1990, ils constituaient des pays d’accueil pour les citoyens d’un nombre réduit de pays africains. Maliens et Nigériens, principalement à Tamanrasset, en Algérie, Sénégalais ou encore Maliens, en très petit nombre, à Fès, au Maroc.

Les informations que nous avons recueillies nous ont permis d’évaluer le coût du « voyage » pour chaque migrant transitant par le Maghreb à une moyenne de dépenses comprise entre 4.000 et 6.000 dollars américains, entre son pays de départ et son point d’arrivée final en Europe. Pour un nombre de migrants estimé à 15.000 annuellement, cela génère une dépense approximative de l’ordre de 75 millions de dollars.  Sur ce montant, on peut estimer que le 1/5ième est dépensé au Maroc (soit 15 millions de dollars), une petite partie en Algérie(5 à 10 millions de dollars), où les migrants tentent aussi de ‘’gagner’’ de quoi continuer leur périple. Le reste (relativement peu) étant dépensé avant l’arrivée au Maghreb et surtout après le départ du Maroc.

Au Maroc, on dispose d’une estimation du nombre d’Africains du sud du Sahara régulièrement installés dans le pays; ce nombre atteindrait 6.000, tel que cela figure au tableau ci-après, dont près de 4.000 étudiants :

Tableau 6: Africains résidant au Maroc selon nationalité, année 1999

Nationalité

Nombre

Algériens

14.124

Tunisiens

2.061

Sénégalais

1.211

Congolais (RDC)

973

Egyptiens

651

Mauritaniens

632

Guinéens (Guinée Conakry)

516

Ivoiriens

405

Congolais (RC)

316

Libyens

314

Nigériens

310

Centrafricains

121

Togolais

105

Tchadiens

100

Djiboutiens

78

Nigérians

54

Angolais

52

Ghanéens

37

Libériens

34

Erythréens

30

Sierra-Léonais

27

Somaliens

25

Guinéens (Guinée Equatoriale)

22

Capverdiens

21

Guinéens (Guinée Bissau)

15

Mauriciens

14

Rwandais

11

Sud-Africains

8

Gambiens

8

Ethiopiens

6

Zambiens

6

Malgaches

5

Tanzaniens

5

Swazilandais

3

Zimbabwéens

3

Mozambicains

1

Total

23.634

Dont Africains du Sud du Sahara

6.484 *

Source : Direction de Surveillance du territoire. Rabat, Maroc.

* Y compris, étudiants: 3.962 ( dont 1427 dans des écoles privées, pour un total de 10.146

Et 2.535 dans le public, pour un total de 250.111 étudiants, Soit 1,8 % du total des étudiants au Maroc). 

Les chiffres officiels tirés du recensement général de la population et de l’habitat réalisé en Algérie en 1998 font part de la présence sur l’ensemble du territoire algérien d’un peu plus de 7.200 personnes originaires d’Afrique subsaharienne sur une population étrangère totale estimée alors à 97.600 personnes.

Sur la population d’origine subsaharienne régulièrement installée dans ce pays, il y aurait 2.500 à 3.000 étudiants ( en 2002), soit à peu près le même nombre qu’au Maroc et en Tunisie.

La Tunisie reconnaît à peu près le même nombre de migrants sub-sahariens que le Maroc, dont près de 3.000 étudiants, sur une population étrangère totale estimée à près de 30.000 personnes, en 2000.

Quant au nombre de migrants clandestins, nous n’avons pu disposer que de quelques estimations imprécises. Au Maroc, il y aurait ainsi entre 6 .000 et 15.000[34] migrants en situation irrégulière; en Tunisie ce nombre serait inférieur à 2.000 et en Algérie, où il y a un très fort besoin notamment de Touaregs venus du Niger et du Mali, ce nombre varie de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers (entre 50 et 150  mille personnes), installées principalement à Tamanrasset, et d’autres oasis du sud, à Ghardaïa et à Alger.

La Libye dispose au Maghreb d’une situation à part. 2ième pays le plus étendu de la région  (1,76 million de Km2) mais surtout l’un des  moins peuplés au monde (3,1 habitants/Km2), elle est devenue, depuis le début de son enrichissement progressif avec la découverte du pétrole  dans son sous-sol un grand pays d’accueil aussi bien de migrants arabes (Marocains, Tunisiens, Egyptiens, Soudanais…) que subsahariens (Tchadiens, Maliens, Nigériens…). Ces migrations ont cependant changé beaucoup de fois d’origine selon les considérations politiques du moment exprimées à Tripoli durant les trois dernières décennies, et surtout durant les années 1990. La Libye a ainsi, selon les circonstances politiques régionales et l’évolution de ses relations internationales, fait part pour sa préférence pour telle ou telle nationalité d’origine migratoire, ce qui a conduit à un basculement constant entre pays, et surtout entre monde arabe et Afrique subsaharienne. Les statistiques officielles tirées du recensement de 1995 faisaient part, notamment, d’un effectif de près de 100.000 Soudanais et 40.000 Subsahariens, contre respectivement 5.000 Soudanais et quelques centaines de Subsahariens vingt ans auparavant. Selon différents chercheurs, ‘’bien que spectaculaire, cette croissance est de toute évidence sous-estimée. Des estimations récentes évaluent le nombre de ressortissants d’Afrique occidentale et centrale à environ 1,5 million (The Baltimore Sun, 26.10.2000), dont 500.000 Tchadiens (AFP, 1.10.2000) et un nombre supérieur de Soudanais (JANA, 8.03.2000)[35] ‘’.

Hormis le cas libyen, la population migrante, installée ou en transit, est fortement intégrée dans le marché du travail informel, notamment en Algérie. Dans ce pays, les migrants sont impliqués notamment à la lisière du Sahel, comme indiqué par ailleurs, dans les travaux agricoles, le terrassement de terrains, la manutention, le commerce ambulant, et d’autres activités de services. Et malgré un taux de chômage élevé, qui atteint près de 28 % de la population active, les migrants ne semblent pas concurrencer les travailleurs locaux, puisque les emplois qu’ils occupent ne sont  pas, le plus souvent, recherchés par les Algériens.

En Tunisie et au Maroc, où le taux de chômage varie entre 15 et 18 % et où le marché de l’emploi ne semble pas faire appel à une main-d’œuvre du type qui est offert par les migrants clandestins, on retrouve ceux-ci dans quelques activités de commerce (produits d’artisanat d’origine sub-saharienne) ou de service (cordonnerie, coiffure, gardiennage), parfois aussi, dans le bâtiment.

Dans tous les cas, il est impossible à ce niveau et dans les trois pays du Maghreb, vu le nombre encore relativement réduit de migrants, de parler d’une concurrence sur le marché du travail au détriment des locaux, notamment au Maroc et en Tunisie. D’autant que, par ailleurs, nombre d’emplois de services (gardiennage, jardinage…) sont occupés par des Marocains dans ce dernier pays.

En Algérie, il existe, au sud du pays, une situation à ‘’l’européenne‘’, où les migrants occupent les emplois ‘’déqualifiés’’ que les Algériens ne veulent plus prendre en charge, étant donné en particulier les conditions climatiques très dures pour des autochtones qui viennent du nord.

A part les effets sur le marché de l’emploi au Maghreb, dont on vient de voir qu’ils sont très limités, des phénomènes collatéraux accompagnent les migrations clandestines. Il s’agit plus particulièrement de l’apparition, tout au long du trajet migratoire, d’organisations de type mafieux exploitant notamment les migrantes. Les contacts avec celles-ci ont été particulièrement difficiles. Mais, il est apparu évident que nombreuses parmi elles s’adonnent à la prostitution.

Le phénomène est très sensible à Tamanrasset, où les autorités publiques semblent commencer à s’en inquiéter, surtout en rapport avec l’apparition du Sida (il faut savoir que cette ville du sud algérien abrite, sur une population de près de 70.000 habitants, une garnison de 8 à 10 mille soldats et autres forces de sécurité, d’où l’organisation au mois de mai 2002 d’une visite sur les lieux en partenariat avec quelques organisations spécialisées du système des Nations Unies, dont le BIT, le FNUAP et l’OMS).

Cependant, la prostitution parmi les migrantes – dans le plus grand besoin financier – est aussi présente au Maroc, à Rabat et Tanger, notamment. En témoigne, plus particulièrement,  le nombre d’accouchements de femmes subsahariennes constatés dans les hôpitaux marocains, ainsi que le nombre de migrantes clandestines enceintes ou voyageant, seules,  avec des nourrissons ou des enfants en bas âge.

La situation ‘’d’irrégularité‘’ et de précarité où vivent la plupart des migrants ne se traduit cependant pas par des troubles ou une délinquance apparente qui pourrait être qualifiée d’exceptionnelle. Bien au contraire, comme l’indiquent les chiffres ci-dessous relatifs au nombre de prisonniers étrangers dans les prisons marocaines dont nous avons pu disposer.

Tableau 7   : Personnes emprisonnées ou passées par les prisons marocaines en 2001

Prisonniers par nationalité

Nombre

%

Marocains

88.447

99,52 %

Etrangers

427

00,48 %

Dont :

            Non subsahariens

         Subsahariens et autres arabes

236

191

00,26 %

00,22 %

Total

88.874

100 %

Source : Ministère de la Justice, Rabat; janvier 2003.

Les données ci-dessus, qui montrent que le nombre de personnes originaires d’Afrique subsaharienne emprisonnées ne dépasse pas  0,2 % de la population carcérale totale au Maroc, indiquent au demeurant que les autorités marocaines mettent rarement en prison - malgré les lois en vigueur[36] - les migrants en raison de leur présence irrégulière sur le sol marocain. Le comportement en la matière, en cas d’arrestation, paraît être davantage le refoulement ou la reconduite à la frontière algéro-marocaine.

Possibilités d’action

La montée en puissance du flux migratoire à travers le Maghreb au cours des 4 dernières années a coïncidé avec des changements extrêmement marqués aussi bien à l’échelle internationale que régionale et autant au niveau politique qu’économique.

Ainsi, les années d’euphorie qui ont marqué la fin du vingtième siècle - avec la fin de la guerre froide (1989), la signature des accords du GATT et la création de l’OMC  (1994/1995), et, pour la région, le sommet euro-méditerranéen de Barcelone (fin 1995) prévoyant la constitution entre les deux rives de la Méditerranée d’une Zone de co-prospérité et la signature par les trois pays maghrébins d’accords d’association avec l’Union européenne (Tunisie, juillet 1995; Maroc, février 1996; Algérie, avril 2002) – et qui ont enregistré un long cycle de croissance, particulièrement pour les Etats-Unis d’Amérique  et une flambée dans les bourses, surtout pour les ‘’valeurs technologiques‘’, vont voir les tendances économique et politique s’inverser dès la fin de l’année 2000 et surtout à partir du 3ième trimestre de 2001 et les attentats qui ont ciblé les villes américaines de New York et de Washington.

Le monde connaît depuis lors une situation internationale incertaine avec, notamment, la posture de guerre contre l’Irak, l’exacerbation du conflit israélo-palestinien et la guerre menée par les Etats Unis d’Amérique contre le terrorisme international.

En parallèle à cela, les Etats Unis d’abord, puis l’Europe de l’Ouest et le Japon à leur suite, connaissent une baisse des taux de croissance de leur PIB (la croissance du PIB mondial est passée de 4,7 % en 2000 à 2,5 % en 2001, et concomitamment l’augmentation du commerce mondial passait, pour les mêmes années, de 13 % à 0,2 %)[37], combinée à l’augmentation des tensions sur les marchés de l’emploi et à l’attentisme des investisseurs. Les investissements directs étrangers, après avoir atteint un montant record de 1.500 milliards de dollars en 2000 ont été divisés par 2, passant à 735 milliards de dollars en 2001.

Tout cela a rendu plus problématiques, notamment, la réalisation des objectifs de lutte contre la pauvreté tels que prévus par les Nations Unies en 2000, et la relance des projets d’aide au développement .

En Afrique même, les spasmes vécus par le Nigeria, pays le plus peuplé et l’un des plus pauvres du continent, et surtout l’installation progressive de la Côte d’Ivoire, fleuron économique de l’Afrique de l’Ouest jusqu’au milieu des années 1990, dont la population est composée à plus de 25 % d’immigrés,  dans une situation de crise généralisée, ont mis l’accent encore davantage sur l’extrême fragilité du continent. Les espoirs nés de la constitution de l’Union Africaine à partir de juillet 2001[38], à la place de l’Organisation de l’Unité Africaine, et du NEPAD[39] (New economic partnership for african development – Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique)  paraissent être en peine de se concrétiser. D’autant que, avant même le retournement des tendances économiques et financières internationales enregistré à partir de la fin de l’année 2001, la part de l’Afrique dans l’aide publique au développement (APD) a chuté de près de 30 % (28,5 %), tel que cela est indiqué dans le tableau ci-après

Tableau 8: Financement public du développement provenant des membres de l’OCDE et des organisations multilatérales, en milliards de dollars courants

Années

1996

1997

1998

1999

2000

Financements publics, dont

Prêts à conditions de marché

73,5

75,4

88,8

85,9

65,5

ADP

55,8

47,9

50,1

52,1

49,5

Part de l’Afrique

20,0

17,9

17,5

16,0

15,7

Source : OCDE, perspectives économiques en Afrique, 2001-2002

Quant aux 3 pays centraux du Maghreb, ils subissent les effets de plusieurs années de sécheresse, de la mondialisation face à laquelle ils tentent de ‘’mettre à niveau‘’ leur économie et des retombées de la crise internationale, particulièrement exacerbée depuis septembre 2001. Le PIB de chacun des 3 pays a reculé de près de 100 dollars par personne entre 1997 et 2002, le chômage s’y stabilise à des niveaux très élevés et les investissements extérieurs n’y affluent encore que très faiblement. Ainsi, le Maroc, notamment, qui a reçu en 2001 plus de 3,3 milliards de dollars à la faveur de quelques privatisations heureuses (intervenues notamment dans les télécommunications) n’en a obtenu que près de 550 millions de dollars en 2002. Au même moment, le Maghreb était soumis à une très forte pression de la part de l’Union européenne pour maîtriser/contrôler les migrations à partir et à travers son territoire vers l’Europe. Cette pression, où l’Espagne a joué un rôle de catalyseur,  ayant été la plus forte sur le Maroc.

Dans ce climat, les discussions autour de la question migratoire au Maghreb ont glissé très rapidement d’un mélange de considérations économico-sociales et sécuritaires lors de débats entre spécialistes, à une approche essentiellement fondée sur le contrôle et la sanction. Approche à laquelle a été donnée, vu les circonstances, une publicité inhabituelle à ce niveau, et pour des sujets aussi sensibles.

Le projet de loi marocaine sur le sujet, présenté le même jour[40] qu’un texte de loi sur le terrorisme (voir ci-après) même si son contenu n’est pas aussi répressif pour les migrants en situation irrégulière qu’une lecture non avertie en donne l’impression, est une parfaite illustration de ce virage.

Nonobstant, il demeure évident que l’aggravation de la situation en Afrique, et l’augmentation des flux migratoires qui en découle, ne peut trouver de solutions viables que dans la sphère économique et sociale, et dans la durée.

Une telle approche est encore d’autant plus possible qu’elle est inévitable si la communauté internationale et les pays concernés veulent véritablement inverser des tendances qui, à terme, conduiraient à de véritables tragédies humaines, hors de propos dans une économie et des sociétés qui se mondialisent.

A partir de ces éléments, il semble bien que toute intervention crédible, pour réduire l’ampleur du phénomène migratoire à moyen et long terme, et en limiter, à court terme, les effets négatifs de toutes natures que subissent aussi bien les pays de départ que les pays d’accueil et les migrants eux-mêmes tout au long du processus migratoire, doit s’articuler autour d’un ensemble de volets et doit être conduite d’abord au niveau des pays de départ.

Or, les pays du Maghreb sont, désormais, à la fois des pays d’accueil et des pays de départ. Aussi, il est important de savoir leurs possibilités de réaction par rapport aux populations migrantes et dans quelle mesure ils seraient capables d’intégrer une partie de ces populations dans un tissu économique et social  déjà en peine de répondre aux besoins, notamment en emplois, des jeunes maghrébins.

Que peut faire le Maghreb en matière de migration : sa situation, ses potentialités

Lors de différents entretiens que nous avons eu avec nombre de responsables politiques et de chercheurs concernés par la question des migrations, un ensemble de principes généraux sont revenus, presque à l’identique dans le cas des 3 pays : 

·        Le Maghreb n’est pas ( pas encore !) un espace de richesse en mesure de recevoir une population étrangère dans des proportions significatives

·        Le Maghreb est une zone de chômage, et encore d’émigration, la question de l’accueil définitif de migrants étrangers, subsahariens en particulier, se posera lorsque les économies maghrébines permettront la création d’emplois suffisants pour leurs populations propres

·        En conséquence, il n’est pas question de créer, dès à présent, un « appel d’air » pour une immigration clandestine de résidence qu’il sera par la suite impossible de stopper.

·        Le Maghreb peut, par contre, augmenter progressivement et  dans des proportions importantes l’accueil d’étudiants et autres jeunes d’Afrique subsaharienne pour les former dans ses universités et ses établissements de formation professionnelle. Mais cela doit se faire en évitant la progression de certains relents racistes présents, y compris parmi les étudiants maghrébins.

·        Pas question, pour les mêmes responsables, que ‘’nos pays‘’ soient considérés sur cette problématique comme « une espèce de frontière extérieure » pour les pays de l’espace Schengen.

·        La coopération en matière de migrations irrégulières est possible, cependant, dans un cadre maghrébin, et à la condition que l’approche  soit globale, c’est-à-dire, qu’elle doit porter sur les volets économiques, sociaux et humains, en plus des considérations purement sécuritaires.

·        Rien n’interdit aux Africains subsahariens en situation régulière de travailler et de vivre au Maroc, en Algérie et en Tunisie à condition que cela réponde aux besoins du marché du travail local et se conforme aux lois en vigueur. Et, de fait, nombre de migrants exercent des activités commerciales privées ou travaillent en tant que journalistes, ou exercent des activités artistiques ou sont engagés dans des équipes sportives, notamment en football et basket

·         Notre objectif principal est de lutter contre le chômage des nationaux et de limiter leurs migrations. Si la situation s’améliorait à ce propos, une place plus importante serait alors accordée aux migrants d’Afrique subsaharienne

Et, de fait, il apparaît évident que les 2 pays du Maghreb, l’Algérie et le Maroc, les plus ciblés par les migrations subsahariennes, quoique relativement beaucoup mieux lotis que l’ensemble des pays subsahariens, connaissent de vrais problèmes de pauvreté.

Ainsi, le Maroc avec 1180[41] dollars de PIB par habitant en 2002, contre 1250 en 1997, enregistrerait un taux de pauvreté absolue de près de 25 % de sa population totale, soit l’équivalent de 6,5 à 7 millions de personnes. Quant à l’Algérie,  malgré ses 1.650[42] dollars de PIB par habitant en 2002, la population qui y vit en dessous du seuil de pauvreté absolue ( soit avec un dollar américain par jour) atteindrait plus de 7 millions de personnes.

De la sorte, la situation n’est pas tout à fait celle des pays au sud du Sahara, mais on est effectivement loin d’une zone de prospérité, même avec une Tunisie où le revenu par habitant se situait à 2.070 dollars américains en 2002[43].

Cependant, ce qui démontre le plus que le Maghreb, avant de pouvoir recueillir durablement des migrants d’autres pays, doive d’abord pouvoir restreindre l’émigration de ses propres habitants, réside bien dans la situation de ses différents marchés de l’emploi, et surtout dans la structure du chômage sur ces marchés.

Le Maghreb est, en effet, comme le montre le tableau ci-après, l’une des régions du monde qui se caractérise à la fois par l’un des plus forts taux de croissance de la population active, l’un des plus faibles taux (statistique !) d’activité féminine, et l’un des plus forts taux de chômage, des jeunes et des jeunes diplômés, en particulier.  Ces caractéristiques ne sont pas indépendantes les unes des autres : les forts taux de croissance de la population active ne sont pas dus seulement à des raisons démographiques, mais aussi à des perspectives d’entrées massives des femmes sur le marché du travail.

Tableau 9: Estimations et projections des taux de croissance annuels de la population active par période et par région. 

1970-80

1980-90

1990-95

1995-2000

2000-2010

Monde

2,18

2,01

1,76

1,66

1,51

Pays en développement

2,52

2,39

2,09

1,95

1,81

Afrique

2,50

2,71

2,83

2,85

2,93

- Nord

2,75

2,76

3,03

3,06

2,90

- Ouest

2,43

2,61

2,84

2,86

2,95

- Centre

2,10

2,55

3,30

2,51

3,12

- Est

2,56

2,83

2,60

2,91

2,96

- Sud

2,66

2,71

2,55

2,54

2,41

Asie

2,37

2,22

1,86

1,69

1,50

- Ouest

2,45

2,96

2,83

2,81

2,52

- Sud-Est

2,68

2,78

2,34

2,18

1,90

Amérique Latine

3,14

3,03

2,49

2,29

1,95

Source: Tableau élaboré à partir de documents du BIT, 1997; Population Economiquement Active 1950-2010, 4ème édition.

Ce tableau laisse apparaître que le Maghreb n’est dépassé, en terme de taux de croissance de la population active, que par les pays d’Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Centre. Autant dire que ce qui fait problème dans ces dernières régions – zones de migration par excellence - est cela même qui ‘’gêne‘’ les sociétés maghrébines.

Parallèlement, les marchés du travail des pays du Maghreb se caractérisent par des taux de chômage très importants, en raison de taux d’activité très élevés, malgré un relatif retrait des femmes, en Algérie et au Maroc notamment, et de créations plutôt réduites d’emplois et de restructurations importantes d’entreprises publiques, surtout en Algérie.

Les trois pays qui ont connu, entre 1998 et 2002, 3 années successives de sécheresse, ont enregistré un fort exode rural, très marqué au Maroc, et accentué en Algérie en raison des conditions de sécurité hors des grands centres urbains de ce pays. Ainsi, comme cela est représenté dans les tableaux ci-après, près de 16% de la population active en Tunisie (un niveau qui s’est à peu près stabilisé depuis une décennie), près de 30% en Algérie, niveau auquel semble devoir se stabiliser le taux après une ascension continue depuis le début des années 1980, et 13% de la population active au Maroc seraient au chômage. Le faible niveau statistique qui est celui du Maroc en 2000 n’est dû qu’à l’importance de la population rurale dans ce pays, où on estime que le taux de chômage dans les campagnes ne dépasse pas 5 % de la population active, alors qu’en milieu urbain ce taux dépasse 20 % (20,4 %).

Tableau 10 : Evolution des taux de chômage au Maghreb dans les années 1990.

1989-1992

1996-1997

2000

Algérie

21,3

32,7

29,8

Maroc

16,0*

 

16,9*

13,6

Tunisie

16,2

15,9

15,6**

Source:  ‘’Employabilité au Maghreb : cas des femmes et des diplômés de l’enseignement supérieur ‘’, Jacques Charmes, Mehdi Lahlou, Saïb Musette ; à publier.

* Taux de chômage en milieu urbain

** Taux calculé sur la population âgée de 18 à 59 ans (taux officiel).

En projection, avec une population globale pour les trois pays de 86 millions de personnes en 2010, contre 72 en 2000, et un taux d’activité de 35 % en 2010 contre 31 % en 2000, les trois pays auraient ensemble entre 4,8 et 6 millions de chômeurs, dont entre 2,9 et 3,2 millions en Algérie, entre 1,9 et 2,2 millions au Maroc et près de 600 mille chômeurs en Tunisie. Soit des taux de chômage variant entre 15 % au Maroc et en Tunisie et 25 % en Algérie, si les tendances récentes sur le marché de l’emploi se maintenaient[44].

En réalité, ce qui peut gêner le plus dans la résorption des migrants subsahariens par les marchés de l’emploi nord-africains réside davantage dans la structure du chômage sur les 3 marchés et sa correspondance par rapport à la structure par âge de ces migrants.

En effet, les différentes enquêtes terrain menées en parallèle à ce projet ont montré que la majorité absolue des migrants étaient âgés entre 17 et 25 à 30 ans. Or, il semble bien que ce soit là la catégorie d’âge la plus affectée par le chômage dans les 3 pays, tel que cela est indiqué par les 3 tableaux ci-après :

Tableaux 10/11/12 : Taux de chômage au Maghreb par âge et niveaux de diplôme ou d'instruction.

ALGERIE (ensemble du pays)

1990

2000

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

Sans diplôme

36,4

16,4

9,8

Niveau moyen

58,4

23,4

31,7

Niveau supérieur

19,2

7,2

8,4

Ensemble

53,7

16,7

21,3

54,0

31,3

29,8

Sources: Office national de la statistique - ONS, Résultats de l’Enquête main d’œuvre 1990, collections n°32; Ministère du travail et des affaires sociales (2001).

MAROC (milieu urbain)

1992

1997

2000 (Niveau national)

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

Sans diplôme

21,1

11,0

18,4

13,1

9,8

42,2

32,7

7,1

Niveau moyen

39,9

25,8

40,6

28,8

26,0

48,9

39,8

26,8

Niveau supérieur

25,6

14,2

60,1

39,6

22,5

17,4

71,6

28,9

Ensemble

30,0

20,3

16,0

29,9

24,1

16,9

39,7

44,1

13,6

Sources: Direction de la Statistique, Population active urbaine 1992; Activité, emploi et chômage 1997; Activité, Emploi et chômage en 2000. Direction de la statistique, Rabat.

TUNISIE (ensemble du pays)

1989

1994

1997

2000

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

15-24 ans

25-34 ans

Tous âges

Tous âges

Sans diplôme

22,2

15,2

11,2

28,2

21,5

16,8

24,5

16,2

10,2

8,0

Niveau moyen

32,7

14,9

19,3

28,0

15,1

17,2

32,4

17,6

18,2

16,3

Niveau supérieur

19,1

6,8

5,3

12,3

6,0

3,8

30,5

12,3

8,1

11,0

Ensemble

31,0

14,4

16,2

27,9

15,2

16,3

31,9

16,9

15,9

15,6

Sources: Institut national de la statistique-INS, Enquête population emploi 1989; Recensement Général de la Population et de l’Habitat 1994; Enquête Nationale sur l’ Emploi en 1997 (pour des raisons d’harmonisation, les taux de chômage ont été calculés en incluant la population de 15 à 18 ans), Observatoire de l’Emploi (2001).

Dans les trois pays, les jeunes semblent être le plus affectés par le chômage, avec une mention particulière pour l’Algérie où moins d’un jeune sur deux était effectivement occupé en 2000, suivie du Maroc, où 3 jeunes sur 5 étaient occupés, et de la Tunisie avec un taux d’emploi de la population active la plus jeune proche de 2/3.

Nous avons là, plus que le différentiel de revenu par rapport à l’Europe, un des  moteurs essentiels pour les migrations clandestines des Maghrébins, et une des explications les plus importantes quant à l’impossibilité à l’heure actuelle pour les pays du Maghreb de ‘’retenir convenablement‘’  une partie des migrants clandestins transitant par leurs territoires.

Et cependant, cette configuration des 3 marchés de l’emploi n’est pas aussi exclusive   qu’elle en donne l’impression a priori.

L’exemple le plus pertinent en est donné par l’Algérie où plusieurs dizaines de milliers de migrants subsahariens, notamment de Nigériens et de Maliens, sont intégrés dans différents secteurs de services et autres activités informelles.

Deux raisons particulières semblent justifier cette situation :

L’Algérie est un pays immense de 2,82 millions de Km2, et, avec 13 habitants au Km2, il connaît l’une des plus faibles densités de population en Afrique.

Les écarts de températures et de conditions climatiques entre le nord (une bande allant de 120 à 150 km le long de la façade maritime du pays) et le centre et le sud du pays font que ces dernières régions sont très peu peuplées, en attirant très peu d’Algériens du nord. Aussi, toutes les activités qui s’y exercent, à l’exception des fonctions administratives et du travail dans les champs de pétrole,  font appel à une population migrante sahélienne réputée mieux résister à des conditions climatiques et de vie de type désertique.

Cette évidence est confirmée par l’évolution du peuplement de l’un des plus grands centres urbains du sud algérien, Tamanrasset.

La population de cette ville serait passée, tel qu’indiqué dans le tableau ci après, de 3000 personnes, dont 332 migrants en 1966, à 71.700 personnes, dont 31.200 en 1998.

Tableau 13:  Effectifs de population de Tamanrasset  selon diverses estimations.

année

RGPH*

Effectifs  théoriques

Effectifs  sans les omissions

apports probables de l'immigration sahélienne.

1966

2668

2668

3000

332

1977

12 402

4514

17788

13224

1987

33 099

9390

41763

32373

1998

65 000

40399

71693

31294

Source : Sassia Spiga, La Dynamique urbaine post migratoire à Tamanrasset ; Migrinter, Poitiers, avril 2002

* recensement général de la population et de l’habitat.

Cet exemple qui indique qu’une population migrante relativement importante s’est fixée en Algérie existe à petite échelle dans d’autres centres de moindre importance (Adrar, Djanet), de même qu’un peuplement d’origine subsaharienne apparaît à Ghardaïa ou à Alger, là aussi pour des activités de services, notamment aux ménages.

Dans ce sens, il n’est pas question pour le gouvernement central, à Alger, de limiter les échanges humains notamment à travers la frontière nigérienne, sous peine de voir se vider une partie des centres urbains de l’extrême sud algérien. Dans ce sens aussi, l’administration prend à sa charge la réalisation de projets de développement, qui sont en réalité des projets de survie dans le désert, (approvisionnement en eau, agriculture et désenclavement, assainissement et terrassement ) et ne peut se passer de la main d’œuvre migrante dont l’installation, plus ou moins longue sur le territoire algérien, s’accompagne du développement d’autres activités génératrices d’emplois pour les populations subsahariennes, telle que le commerce africain de troc[45].  Selon la chercheuse algérienne Sassia Spiga, ‘’L’évolution de l’emploi à travers les quatre (dernières ) décennies montre un changement de profil où l’offre d’emploi,  initialement relative aux chantiers de prospections minières à l’extérieur de la ville (de Tamanrasset), se diversifie. Cette diversification exploitant la présence  d’une main d’œuvre africaine dans tous les secteurs‘’.

Toujours selon Sassia Spiga, confirmant ce que nous avons pu voir nous-même lors de notre visite dans le sud algérien, au mois d’avril 2002, ‘’les Africains qui pratiquent le commerce itinérant, ont dans « l’Assihar », foire annuelle de Tamanrasset, des stands où ils présentent quotidiennement les produits de toutes natures et de toutes origines aux Africains installés à Tamanrasset, à des clients et autres touristes arrivant du Nord de l’Algérie. 

Dans cette répartition ethnique et géographique des activités urbaines, se trouve un secteur intermédiaire où opèrent en partenariat, des associations de commerçants de troc algériens et sahéliens. Le lieu traditionnel de ce commerce était l’Assihar. Si cette foire a bien fonctionné dans les conjonctures favorables, elle est surtout investie par le commerce informel. S’y exposent quotidiennement toutes sortes de produits par les immigrants du nord et du Sud désireux d’augmenter leurs revenus. Ceux-ci y arrivent à partir de 16 heures, heure à laquelle ils ont terminé le travail chez l’employeur, heure de flânerie pour les algériens du Nord.

Ce commerce quotidien de fin d’après-midi  est organisé lui aussi sur la base d’une spécialisation ethnique se traduisant par une discrimination spatiale au sein de la partie de l’Assihar occupée. Le secteur du transport transsaharien assurant la mise en contact de ces différentes catégories ethniques qui articulent la sphère des activités urbaines, est assurés par des transporteurs nigériens et algériens qui se relayent. Il est contrôlé dans le territoire algérien par les camionneurs originaire du Nord qui pratique le “transports régulier” et les Touareg de l’Ahagar qui ont adopté le transport par Toyota, plus adaptée à l’immigration clandestine‘’.

De la sorte, on ne pouvait mieux démontrer que malgré un chômage qui frôle les 30 % de la population active du pays, l’Algérie pour des raisons stratégiques et d’aménagement de son immense territoire, a besoin à titre semi permanent d’une main d’œuvre étrangère, le plus souvent ‘’formellement irrégulière‘’. En effet, selon les consuls du Mali et du Niger à Tamanrasset, il est pratiquement impossible à leurs citoyens d’obtenir des cartes de séjour et des permis de travail en Algérie.

La Tunisie, où vivraient entre 3 et 6.000 migrants d’Afrique subsaharienne reçoit légalement, pour des motifs d’emploi (essentiellement en tant que gardien, agriculteurs ou artisans et maçons) essentiellement des Marocains.

Les migrants subsahariens en situation irrégulière ou les étudiants s’adonnent à quelques activités informelles, principalement, commerciales.

Ceux qui sont autorisés à travailler dans le secteur formel, le font dans le cadre du décret présidentiel du 17 janvier 1994 portant fixation des modalités de recrutement des agents d’encadrement et de maîtrise de nationalités étrangères par les entreprises totalement exportatrices.

Ce décret, présenté ci-après en encadré II, conditionne l’intégration de personnels non tunisiens dans des entreprises présentes en Tunisie à l’utilité de la personne engagée pour l’entreprise, au fait que celle-ci doive orienter la totalité de sa production vers les marchés étrangers et à la nécessité de créer à côté de chaque personne ainsi recrutée un poste de stagiaire affecté à un Tunisien qui prendra la relève une fois qu’il est déclaré apte à assurer les taches pour lesquelles il a été formé.

Au Maroc, la situation est plus proche de celle que connaît la Tunisie en ce qui concerne les activités informelles, avec la différence que dans le cas marocain cela ne concerne que des migrants subsahariens, étudiants ou en situation irrégulière, dont certains sont dans le pays depuis de très nombreuses années.  Autrement, sans que cela fasse l’objet d’une publicité particulière, des entreprises qui en font la demande, même lorsqu’elles travaillent seulement pour le marché local, telles que des sociétés de presse, peuvent recruter du personnel qualifié dont elles justifient qu’elles ont besoin.

S’agissant de la question de savoir si les 3 pays seraient prêts à recevoir et à autoriser à travailler, autrement qu’ils ne le font jusqu’à maintenant, une population migrante en situation irrégulière plus importante, la réponse est tout à fait négative pour tous les responsables que nous avons interrogés à ce propos.

Elle est à présent très nette, de ce point de vue, pour le Maroc, et ce à travers la date (voir encadré I) choisie pour annoncer le dépôt du projet de loi sur l’immigration et l’émigration irrégulières (voir encadré III) et sa tonalité, même si ce texte doit être accompagné, de prime abord, par certaines constations, telles que les suivantes :

*  Les sanctions pour entrée irrégulière au Maroc sont plus faibles par rapport à ce qui était prévu dans la législation en vigueur. Notamment, la durée d’emprisonnement passe, tel qu’indiqué dans l’encadré IV, de un mois à deux ans, à un à six mois. Quant aux amendes fixées de 6.000 francs (soit 600 dirhams) à 60.000 francs ( 6.000 dirhams) en 1952, elles devraient se situer désormais dans une fourchette comprise entre 12.000 et 120.000 dirhams, or, le projet de loi prévoit des amendes de 2.000 à 20.000 dirhams. Toujours est-il que de tels paiements relèvent de la pure hypothèse tant les migrants irréguliers sont, justement, impécunieux. 

* Il y a impossibilité, à l’heure actuelle, pour les autorités marocaines, d’arrêter tous les migrants irréguliers et de les incarcérer en appliquant à leur égard les sanctions prévues par le nouveau texte. Les anciens textes en vigueur prévoyaient déjà l’emprisonnement pour les migrants pénétrant sans papier ou avec de faux documents de voyage au Maroc, or, sur près de 15.000 personnes étrangères pénétrant irrégulièrement au Maroc, il y avait en 2001 moins de 150 migrants subsahariens dans les prisons marocaines, et pas nécessairement pour absence ou usage de faux documents de voyage (voir tableau 5 ci-haut).

* Le projet de texte ne prévoit pas de poursuivre les employeurs éventuels de migrants irréguliers.

*  Il ne prévoit pas, non plus, de pénaliser ceux qui les hébergent

* Les sanctions à l’égard des transporteurs sont tout à fait théoriques, puisque ceux-ci vérifient déjà, depuis longtemps, que leurs passagers disposent de visas, en plus la quasi totalité des migrants irréguliers accédant au Maroc le font par les frontières terrestres du pays, principalement la frontière algérienne.

Cependant, deux axes nous semblent importants pour des projets de coopération multilatérale, soutenus par le système des Nations Unies, en matière d’accueil par les pays du Maghreb de migrants subsahariens, il s’agit de celui de l’enseignement et de la prise en charge médicale de ces migrants.

Pour les questions d’enseignement, trois constats méritent d’être enregistrés :

·        La plupart des migrants en situation irrégulière transitant par le Maghreb sont des jeunes de 17 à 30 ans, qui ont, pour la plupart, abandonné la scolarité aux dernières années du lycée ou après l’obtention du baccalauréat, en raison, très souvent, de la déqualification à leurs yeux de leur système éducatif national. Beaucoup parmi eux seraient donc prêts à reprendre dans un autre pays le chemin de l’école.

·        L’une des raisons des problèmes de développement à l’heure actuelle, dans l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne, réside dans l’insuffisance de cadres et autres personnels qualifiés.

·        Les possibilités d’intégration des migrants irréguliers dans les pays de destination, de transit, ou en cas de retour à leur pays, seraient nécessairement plus grandes s’ils recevaient une formation supérieure ou plus approfondie.

A partir de ces éléments, et étant donné les infrastructures disponibles en matière de formation et d’enseignement dans les 3 pays du Maghreb, il serait possible à chacun d’eux de recevoir dans son système scolaire, sous certaines conditions, jusqu’à 20.000 étudiants, au lieu des 3.000 étudiants par pays en moyenne qui sont enregistrés actuellement dans leurs écoles et universités.

Cela demandera, bien évidemment, une coopération très ciblée, un suivi pointu et des financements internationaux pour payer des bourses et permettre aux pays d’accueil de réaliser certains équipements nécessaires, particulièrement en matière de logement et de restauration universitaires.

Le deuxième axe concerne la prise en charge, notamment médicale et paramédicale, de migrants et surtout de migrantes en situation de forte précarité, notamment en cas de couches.

Les conditions de vie des migrants irréguliers  dans certains quartiers de Tamanrasset ou d’Alger, de Rabat ou  de Tanger, par exemple, sont telles qu’il en découle des maladies et affections graves, or beaucoup de structures médicales ne sont pas prêtes à répondre à toutes les demandes en ce sens.

Une plus grande implication ici de certains organismes des Nations Unies, telles que l’OMS, le BIT , le PNUD, le FNUAP ou la FAO, serait de la plus grande utilité pour les migrants et pour les Etats/villes qui les hébergent. Des procédures d’intervention pertinentes doivent être trouvées dans ce sens.

Pour les deux axes, et aussi pour un objectif d’intervention générale, non ciblée préalablement, il y a lieu de procéder à 3 niveaux :

·        Celui des autorités administratives centrales et régionales.

·        Autant que c’est possible, celui des collectivités locales élues, qui disposeraient d’une plus grande flexibilité sur ce type d’intervention

·        Et, enfin, celui des ONG et associations de la société civile. De ce point de vue, le pays qui dispose de plus de structures en ce sens, et aussi de plus de liberté d’action pour les associations, est le Maroc.

Seraient ciblées à ce propos les associations de développement local, ainsi que les associations de droits de l’homme et les associations caritatives. Au demeurant, une association opérant dans le domaine des migrations irrégulières a vu le jour depuis quelques années, avec le soutien de l’Union européenne. Il s’agit de l’Association des Familles des Victimes de la Migration Clandestine (AFVIC), dont le siège est à Khouribga, dans une zone de départ de migrants parmi les plus importantes du pays.

Créée à l’origine pour faire en sorte que des candidats marocains à l’émigration se regroupent et affectent les moyens financiers qu’ils prévoyaient    de mettre dans leur aventure migratoire (entre 40 et 60.000 dirhams, soit entre 4 et 6.000 dollars américains par personne) à la création de mini-projets générateurs de revenus, cette association est de plus en plus impliquée dans la dénonciation des réseaux mafieux facilitant les migrations, aussi bien des Marocains que des Africains du sud du Sahara.

Au delà de ce genre d’interventions, très utiles mais partielles et révocables à tout moment, la résorption des migrations clandestines à partir des pays du Maghreb ne peut être menée que grâce à l’encouragement et à la mise en œuvre de politiques économiques et sociales productives de richesses et créatrices d’emplois.

La création d’emplois au Maghreb à un niveau significatif réduirait la pression migratoire à partir de ces pays. Cela conduirait, en particulier, à l’atténuation des flux de migration irrégulière, ce qui réduirait autant la présence de réseaux illégaux organisant cette migration, et permettrait la disparition de cet élément qui représente un facteur d’appel important des migrations irrégulières à partir des zones subsahariennes. La diminution du nombre de migrants irréguliers et légaux à partir des différents pays du Maghreb, comme cela s’est réalisé progressivement depuis le début des années 1980 pour des pays comme le Portugal et l’Espagne, et depuis le milieu des années 1970 pour l’Italie - qui n’ont commencé à se développer véritablement que grâce à leur intégration à l’Europe et aux ressources qu’ils en ont retirées pour développer les régions les plus attardées de leurs territoires - permettra subséquemment de ‘’laisser’’ une plus grande place aux migrants d’Afrique subsaharienne dans les différents pays européens qu’ils cherchent à atteindre.

Ces politiques ont cependant besoin, pour  être enclenchées et pour durer, de l’appui et du support des pays riches, notamment de l’Union européenne. Comme elles ont besoin d’être initiées dans les principales zones subsahariennes de départ des migrants clandestins.

Dans ce sens, il est évident que si une volonté politique franche était exprimée par la communauté internationale, et par l’Union européenne en particulier, pour faire face à la pauvreté et au déclin de l’Afrique, et pour réduire les migrations irrégulières à partir de ce continent autrement que à travers les options sécuritaires, les possibilités pour créer des activités productives, génératrices d’emplois et de richesses se dégageraient, en particulier à travers :

·        Un ciblage très précis des zones où il est possible d’intervenir avec le maximum d’efficacité.

·        Un recours préférentiel à la coopération décentralisée, c’est-à-dire à la prééminence dans les différentes interventions à des collectivités locales relevant aussi bien d’une organisation moderne que de communautés traditionnelles, moins sujettes à des questionnements sur l’absence de démocratie ou sur la corruption, par exemple.

·        Un recours pertinent aux ONG de développement qui ont fait leurs preuves aussi bien chez les pays donateurs que chez les pays récipiendaires.

·        Un choix concerté, mais très précis des projets, en fonction des différentes situations locales et des moyens qu’il est possible de mobiliser.

·        Un accompagnement pointu de tout projet d’actions de formation et de conscientisation des différents intervenants, aussi bien au niveau des donateurs et prestataires de services que des bénéficiaires.

·        Le ciblage de chaque projet sur une région bien déterminée en tachant de concentrer ses retombées sur une communauté particulière pour que les premiers effets atteignent un seuil critique qui doit servir comme référence en vue de reprendre un projet similaire dans un espace géographique mitoyen, et ce en créant de proche en proche des effets de propagation et d’émulation.

·        La considération de la formation comme l’une des bases de réussite de tout  projet, en accompagnant toute action de développement d’un effort d’alphabétisation de base et d’apprentissage pour les différents métiers auxquels elle doit faire appel.

·        Le ciblage, dans toute action, des femmes et les jeunes.

·        L’harmonisation dans leurs régions d’intervention les actions des différentes agences de développement relevant de l’ONU, pour en relever l’efficience et les retombées sur les populations concernées. Des interventions isolées dans l’espace et unidimensionnelles n’ont aucune portée pratique.

Dans le même sens, il y a lieu de procéder dans les divers projets d’aide au développement initiés par différents pays et différentes instances financières internationales à une ‘’multilatéralisation‘’ des interventions, en vue d’accroître aussi bien au niveau politique que économique les chances de succès des programmes objets de coopération.

Faire un inventaire des ONG internationales, et locales,  les plus actives en matière d’intervention dans les projets de développement. Faire ressortir leurs domaines d’action et les exemples réussis d’intervention. Essayer de reproduire ces exemples dans plusieurs zones géographiques, tout en renforçant ces ONG sur le plan logistique, humain – à travers notamment des actions pertinentes de formation – et aussi sur le plan politique.

Les actions de développement exigent une situation de sécurité pour les personnes intervenantes et de paix pour les populations. Dans ce sens, il y a lieu d’accompagner les interventions des organismes de l’ONU et des Etats donateurs par des actions diplomatiques et politiques visant l’instauration de la paix, d’abord, puis des bases de la démocratie dans les régions et pays cibles. Les objectifs de paix et de démocratie devant constituer des éléments de référence et de conditionnalité dans les interventions contre la pauvreté.

Lors des différentes rencontres auxquelles il nous a été permis de prendre part durant la préparation de ce travail, il nous a été possible de saisir combien il est possible de mobiliser des associations pour contribuer au financement et à la réalisation de projets de développement dans les régions les plus pauvres et de migration en Afrique. Il nous a été aussi possible de discuter de certains créneaux porteurs et de leur portée. 

A ce propos, et en marge d’une rencontre sur la coopération décentralisée organisée par la Région Nord-Pas de Calais, en France, au mois de novembre 2002, un industriel local intervenant dans certains pays du Sahel dans le secteur de l’irrigation a présenté un projet portant sur la mise à disposition d’agriculteurs sahéliens de pompes à eau solaires, faciles d’utilisation et ne nécessitant aucune consommation intermédiaire.

Ces pompes à eau, dont le coût unitaire est de 10.000 Euros (en cas de production à grande échelle, ce coût serait considérablement abaissé), ont une durée de vie de 25 ans, et fonctionnent sous garantie du fabricant pendant 10 ans. Avec une capacité de captage de 30 litres/seconde, elles sont en mesure d’irriguer un hectare par jour. En supposant une rotation de 15 jours, chaque pompe peut être utilisée pour l’irrigation de 15 hectares par an. Chaque hectare peut être affecté à des productions  maraîchères et ferait travailler 5 personnes, et donc permettrait l’entretien de 5 familles.

En mobilisant 50 millions d’Euros[46], on peut acheter 5.000  pompes à eau, ce qui permettrait d’irriguer 75.000 hectares et donnerait du travail, et des revenus nouveaux, à quelque 375.000 personnes.   

De telles opérations qui seraient accompagnées, par ailleurs, par une plus grande ouverture des marchés des pays industrialisés aux produits agricoles des pays les plus pauvres génèreraient des ressources supplémentaires pour leur propre continuation et propagation. Une libéralisation en ce sens permettrait effectivement de générer 150 millions de dollars américains par an.

Autrement, en diminuant seulement de 10 % les subventions publiques qu’ils accordent à leurs agriculteurs, les pays riches dégageraient, aux données de 2001, 35 milliards de dollars qu’ils peuvent affecter à l’aide publique au développement, et cela sans même qu’ils augmentent sur des ressources budgétaires la part de leur PIB affectée à cette aide. Affectation à laquelle ils se sont pourtant engagés lors du sommet de Monterrey (Mexique) de mars 2002.

Sur un plan plus global, l’Afrique s’est donnée, à travers le NEPAD, un cadre d’intervention et des objectifs de nature à réduire la pauvreté, à augmenter l’emploi et donc à réduire, à terme, la propension à la migration de ses habitants.

Les buts fixés dans cette perspective sont à peu près ceux que la conférence de l’ONU sur le financement du développement[47]. Ils s’articulent autour des principaux éléments suivants :

·        Parvenir à une croissance annuelle moyenne du PIB en Afrique de plus de 7 % et s’y maintenir pendant 15 années.

·        Réaliser les objectifs retenus dans la déclaration du Millénaire de l’ONU de  septembre 2000, à savoir:

* Réduire de moitié, de 2000 à 2015, le % de personnes vivant en situation de pauvreté extrême

* Réduire de moitié à l’échéance de 2015 le nombre de personnes (1,5 milliard) qui n’avaient pas accès en 2000 à l’eau potable courante.

* Assurer la scolarisation de tous les enfants en âge de fréquenter les écoles primaires à l’horizon de 2015.

*  Mettre en œuvre dès 2005 des stratégies régionales de développement durable pour que les pertes de ressources écologiques soient compensées dès 2015

Un mécanisme pertinent est venu s’adjoindre à ce cadre, il s’agit de ‘’L’African Peer Review Mecanism’’ (APRM) : « Le système africain de contrôle par les pairs », imaginé par le nouveau Président du Ghana.

Ce mécanisme a pour buts de :

·        Prouver la crédibilité des dirigeants des pays qui s’y soumettent

·        Attirer des investissements et des fonds internationaux plus importants en garantissant la transparence dans le gestion

·        Permettre une bonne gestion de ces fonds à travers le recours à des instruments modernes d’analyse et de décision

·        L’idée ultime étant de redonner confiance aux divers bailleurs de fonds et sécuriser leurs interventions dans les pays d’Afrique subsaharienne où troubles et insécurité ont longtemps été ( et sont encore) des facteurs de blocage face à l’arrivée de capitaux économiquement significatifs.

Cependant, tout cela pourrait ne rester que tout à fait théorique, à l’image de tout ce qui a été proposé par (et pour) l’Afrique au cours des dernières décennies. Pour qu’il y ait des résultats concrets sur le terrain, en termes de réduction de la pauvreté, d’accroissement de l’emploi, de relèvement du niveau éducatif de la population, d’amélioration du cadre de vie, d’installation de la sécurité et de la stabilité, il y aurait besoin d’un véritable plan Marshall – à l’image de ce qui a permis la reconstruction de l’Europe occidentale au sortir de la 2ième guerre mondiale - pour l’ensemble de l’Afrique, et d’une approche concertée, plus dynamique et volontariste, entre groupes régionaux d’Afrique, l’Union européenne, le Japon, les Etats Unis d’Amérique, les organismes des Nations Unies spécialisés dans le développement et les instances financières internationales, notamment le FMI et la Banque mondiale.

Cette approche concertée devrait, plus particulièrement, être conduite par les ensembles aujourd’hui les plus directement concernés par les migrations et les problèmes de développement en Afrique. Il s’agit de l’Union européenne et du Maghreb, en tant que groupes politico-économiques, en plus de l’ensemble des pays subsahariens. Comme déjà avancé dans le premier rapport sur l’immigration irrégulière à travers et vers le Maroc, les problèmes actuellement posés et les populations concernées et dans les années à venir sont tels qu’il y a besoin d’une Conférence euro-africaine[48] pour discuter les fondements d’un cadre multilatéral de dialogue et de coopération entre l’Union européenne et les pays du Maghreb et les principaux pays de départ de migrants illégaux d’Afrique sub-saharienne.

Cette conférence devrait viser, normalement, l’institution d’un « partenariat politique et de sécurité », à l’image de ce qui a été convenu en 1995 entre l’Union européenne et pays du sud de la Méditerranée, pour faire face à court et à moyen termes au flux de migrations illégales, mais elle devrait surtout aborder le long terme  en instituant un « partenariat économique et de développement » seul en mesure de réduire les pressions migratoires dans un continent bientôt peuplé de plus d’un milliard de personnes.

Ce partenariat euro-africain, vu l’urgence des problèmes posés par les migrations illégales à l’heure actuelle et vu l’ampleur qu’elles peuvent atteindre dans les années à venir, doit être fondé sur une volonté politique forte et sur un engagement économique réel, pour lutter contre la pauvreté et asseoir le développement, dans les régions les moins nanties d’Afrique sub-saharienne. 

Toutefois, la démarche ‘’sécuritaire‘’ qui semble primer, du côté européen depuis la réunion de Séville de la Présidence du Conseil européen, les 21/22 juin 2002, et le contexte où a été proposé, en janvier 2003, un projet de loi sur l’émigration et l’immigration irrégulières au Maroc, de même que l’état d’instabilité et d’incertitude que connaît le monde depuis septembre 2001, et surtout depuis le mois de mars 2003, ne paraissent pas aujourd’hui de nature à conforter l’œuvre nécessaire de développement en Afrique, pour faire face, à long terme, à la problématique migratoire telle qu’elle est posée aujourd’hui. Or, sans ce développement et sans réduction significative de l’état de pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne, la pression à la migration ira mécaniquement en se renforçant, quelles que soient les mesures de contrôle et de sécurité qui seraient adoptées pour la réduire.

 

Encadré I : Chronologie migratoire à la fin de l’année 2002 et début 2003 ; radicalisation et dramatisation.

Le 27 décembre 2002, mort de 7 migrants marocains, arrêtés dans un Yacht parti le 23 de Sebta pour joindre Purto Banüs, au sud de Malaga, dans un incendie qui s’est déclaré dans une cellule de commissariat à Malaga où ils attendaient d’être expulsés vers le Maroc (Enquête de l’Association des familles des victimes de l’immigration clandestine –AFVIC, Khouribga, Maroc).

Le 2 janvier 2003, échouage d’une patéra transportant une quarantaine de migrants marocains près de Tarifa (Espagne). 5 migrants se sont noyés, 35 rescapés

Le 5 janvier 2003, la gendarmerie royale marocaine arrête, à près de 40 km au nord de Rabat, 56 migrants subsahariens qui étaient convoyés entre Kénitra et Layoune. Ce transport était assuré dans un camion pour bétail, et les 56 migrants étaient cachés sous du foin. Le propriétaire et le chauffeur du camion, qui ont été arrêtés par la même occasion, ont déclaré être à leur quatrième convoi de ce type, et qu’ils appliquaient un tarif de 4.000 dirhams par migrant, soit près de 2 fois le prix d’un billet d’avion, aller/retour, Casablanca-Layoune.

Un tel transport, effectué dans l’une des situations les plus indignes qu’il nous a été permis d’enregistrer, en dit long aussi sur les difficultés faites aux migrants, les coûts et les brimades qu’ils supportent, que sur le caractère pernicieux des convoyeurs de toutes nationalités et sur les difficultés qu’il y a à bloquer de tels trafics.

Le 16 janvier, présentation devant le conseil de gouvernement à Rabat d’un projet de loi relatif à l’Entrée au royaume du Maroc, au séjour des étrangers, à « l’émigration et l’immigration irrégulière ». Ce projet qui a été proposé le même qu’un autre projet de loi de lutte contre le terrorisme, doit être présenté en Conseil de ministres (présidé par le roi) et soumis à la suite au parlement marocain. Aucune opposition, vu les circonstances qui entourent cette présentation faite au même moment que celle d’un projet de loi contre le terrorisme, ne devrait se manifester pour contrer le projet

Le 19 janvier 2003, noyade de  18 migrants  subsahariens en face des côtes marocaines après avoir eu  peur à  la vue  de soldats  marocains et pris la mer par gros temps (le Monde du 21 janvier 2003).

Arrestation d’au  moins 150 migrants marocains ou sub-sahariens par les forces de sécurité espagnoles ou marocaines chaque semaine, depuis le début de l’année 2003

Le 27 janvier 2003, pour la première fois, des bateaux anglais basés à Gibraltar, ainsi que des unités de marine française, italienne et portugaise interviennent auprès d’unités espagnoles chargées de surveiller la traversée du Détroit entre le Maroc et l’Espagne, et une partie des eaux territoriales euro-marocaines.

Le 30 janvier 2003 le Maroc et l’Espagne annoncent le retour de leurs ambassadeurs respectifs à Madrid et à Rabat.

Encadré II : Réglementation du travail des étrangers en Tunisie.

Décret du 17 janvier 1994 portant fixation des modalités de recrutement des agents d’encadrement et de maîtrise de nationalités étrangères par les entreprises totalement exportatrices.

            Article 1er - les entreprises totalement exportatrices mentionnées à l’article 10 du code d’incitations aux investissements doivent saisir les services compétents du ministère de la formation professionnelle et de l’emploi de tout recrutement qu’elles envisagent d’effectuer dans la limite de quatre agents d’encadrement et de maîtrise de nationalité étrangère, avec indication des aptitudes professionnelles des agents concernés et des postes à pouvoir.

            Art.2 - Il peut être à tout recrutement, au-delà de quatre agents d’encadrement et de maîtrise de nationalité étrangère, sous réserve de l’obtention de l’approbation préalable, par le ministère de la formation professionnelle et de l’emploi, du programme de recrutement et de « tunisifaction » prévu à l’article 18 du code d’incitations aux investissements.

            L’entreprise est tenue de soumettre, à cet effet, un dossier comportant notamment :

- l’effectif global de l’entreprise et sa répartition par catégories professionnelles,

- la description des postes occupés par les quatre agents d’encadrement et de maîtrise de nationalité étrangère dont le recrutement n’est pas soumis au visa prévu à l’article 258 du code du travail,

- le nombre et la description des postes à pouvoir par les agents d’encadrement et de maîtrise de nationalité étrangère dont le recrutement est demandé, ainsi que les aptitudes professionnelle de ces agents,

- les conditions exigées des homologues tunisiens devant être adjoints aux agents d’encadrement et de maîtrise de nationalité étrangère,

- la durée du stage et la rémunération proposées pour les homologues tunisiens.

- la date prévue pour le remplacement des agents d’encadrement et de maîtrise de nationalité étrangère par leur homologues tunisiens.

            Art. 3.- La décision d’approbation ou de refus est notifiée à l’entreprise dans un délai maximum de quinze jours à compter de la date de dépôt du dossier au ministère de la formation professionnelle et de l'emploi.

            Art. 4.- des copies du programme approuvé sont communiquées au bureau régional de l'emploi et à l'inspection régionale du travail territorialement compétents.

            Les services compétents du ministère de la formation professionnelle et de l'emploi assurent le contrôle et le suivi de l'exécution des programmes approuvés.

            Art. 5.- Tout recrutement d'un salarié étranger, effectué par l'entreprise dans le cadre du programme approuvé, doit faire l'objet d'un contrat de travail conformément à la législation et à la réglementation en vigueur.

            Art. 6.- L'inexécution par l'entreprise des dispositions du programme de «tunisifaction» peut entraîne le rejet de toute nouvelle demande qu'elle pourrait présenter en vue de l'établissement ou du renouvellement d'un contrat de travail pour un salarié étranger.

            Art. 7.- Toutes dispositions antérieures contraires au présent décret sont abrogées et notamment le décret susvisé n° 88 53 du 9 janvier 1988.

            Art. 8.- Les ministres des affaires sociales et de la formation professionnelle et de l'emploi sont chargés, de l'exécution du présent décret qui sera publié au Journal officiel de la République Tunisienne.

Encadré III – Projet de loi relative à l’entrée au Royaume du Maroc, au séjour des étrangers, à l’émigration et à l’immigration irrégulières.

CHAPITRE VIII : DISPOSITIONS PENALES

ARTICLE 42 : Tout étranger pénétrant ou tentant de pénétrer sur le territoire national, en violation des dispositions de l'article 2 de la présente loi, ou qui s'est maintenu sur le territoire marocain au delà de la durée autorisée par son visa, est  passible, sauf cas de force majeure ou excuses reconnues valables, d'une amende de  2000 à 20.000 DH et d'un emprisonnement de un à six mois, ou de l'une de ces deux  peines seulement. En cas de récidive, la peine est portée au double.

L'autorité administrative peut, toutefois, décider eu égard aux impératifs découlant de la sécurité et de l'ordre public, d'expulser l'étranger vers l'Etat dont il est ressortissant ou vers un autre Etat, selon le souhait formulé par l'intéressé.

ARTICLE 43 : Tout étranger qui réside au Maroc sans être titulaire du certificat d'immatriculation ou du certificat de résidence prévu par la présente loi est puni d'une amende de 5.000 à 30.000 DH et d'un emprisonnement de un mois à un an, ou l'une de ces deux peines seulement. En cas de récidive, la peine est portée au double.

ARTICLE 44 : Tout étranger dont le certificat d'immatriculation ou le certificat de  résidence est arrivé à expiration et qui ne formule pas, dans les délais prescrits par la loi, une demande de renouvellement, sauf cas de force majeure ou d'excuses reconnues valables, est passible d'une amende de 3.000 à 10.000 DH et d'une peine de 1 à 6 mois d'emprisonnement, ou l'une de ces deux peines seulement. En cas de récidive, la peine est portée au double.

ARTICLE 45 : Tout étranger qui sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l'exécution d'un décision d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière ou qui, expulsé ou ayant fait l'objet d'une interdiction du territoire, aura pénétré de nouveau sans autorisation sur le territoire national, sera puni de six mois à 2 ans d'emprisonnement. En cas de récidive, la peine est portée au double.

Le tribunal pourra, en outre, prononcer à l'encontre du condamné l'interdiction du territoire pour une durée de deux à dix ans.

L'interdiction du territoire comporte de plein droit reconduite à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de la peine d'emprisonnement du condamné.

ARTICLE 46 : Les étrangers, qui n'auront pas rejoint dans les délais prescrits la résidence qui leur est assignée en vertu des dispositions de l'article 31 ou qui, ultérieurement, ont quitté cette résidence sans autorisation, sont passibles d'une amende de 3.000 à 10.000 DH et d'une peine d'emprisonnement de trois mois à un an, ou l'une de ces deux peines seulement.

ARTICLE 47 : L'étranger, qui aura établi son domicile ou séjournera dans une circonscription territoriale en infraction aux dispositions de l'article 41, sera puni d'une amende de 3.000 à 10.000 DH et d'une peine d'emprisonnement de trois mois à un an, ou l'une de ces deux peines seulement.

ARTICLE 48 : Est puni d'une amende de 5000 à 10.000 DH par passager, le  transporteur ou l'entreprise de transport, qui débarque sur le territoire marocain, en provenance d'un autre Etat, un étranger démuni du document de voyage, et le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en  raison de sa nationalité.

L'infraction est constatée par un procès verbal établi par un officier de police judiciaire. Copie du procès verbal est remise au transporteur ou à l'entreprise de  transport intéressée.

Le transporteur ou l'entreprise de transport a accès au dossier. Il est mis à même de présenter ses observations écrites dans un délai d'un mois.

L'amende n'est pas infligée lorsque :

1-     l'étranger qui demande l'asile a été admis sur le territoire marocain ou lorsque la demande d'asile n'était pas manifestement infondée.

2-     le transporteur ou l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés, au moment de l'embarquement, ou lorsque les documents présentés ne comportent pas un élément d'irrégularité manifeste.

3-     le transporteur ou l'entreprise n'a pu procéder, au moment de l'embarquement, à la vérification du document de voyage et le cas échéant du visa des passagers empruntant ses services, à condition d'avoir justifié d'un contrôle à l'entrée sur le territoire marocain.

TITRE 2

INFRACTIONS RELATIVES A L'EMIGRATION

ET L'IMMIGRATION IRREGULIERES

ARTICLE 49 : Est punie d'une amende de 3000 à 10.000 dh et d'un emprisonnement de 1 à 6 mois, ou l'une de ces deux peines seulement, sans préjudice des dispositions du code pénal applicable en la matière, toute personne qui quitte le territoire du Royaume du Maroc d'une façon clandestine, en utilisant, au moment de traverser l'un des postes frontières terrestres, maritimes ou aériens, un moyen frauduleux pour se soustraire à la présentation des pièces officielles nécessaires ou à l'accomplissement des formalités prescrites par la loi et les règlements en vigueur, ou en utilisant des pièces falsifiées ou par usurpation de nom, ainsi que toute personne qui s'introduit dans le Royaume ou le quitte par des issues ou des lieux autres que les postes frontières créés à cet effet.

Est punie des mêmes peines toute personne qui se rend complice de l'exécution des actes énumérés par le présent article.

ARTICLE 50 : Une peine de 2 à 5 ans d'emprisonnement est appliquée à toute personne, qui prête son concours ou son assistance pour l'accomplissement des faits visés ci-dessus, si elle exerce un commandement des forces publiques ou en fait partie, ou qu'elle est chargée d'une mission de contrôle, ou si cette personne est l'un des responsables ou des agents ou employés dans les transports terrestres, maritimes ou aériens, ou dans tout autre moyen de transport, quel que soit le but de l'utilisation de ce moyen de transport.

ARTICLE 51 : Sont punis de la réclusion de dix ans à quinze ans ceux qui, de manière habituelle, organisent ou facilitent l'entrée ou la sortie des nationaux ou des étrangers de manière clandestine du Royaume du Maroc, selon l'une des méthodes visées audit article, notamment en effectuant leur transport, à titre gratuit ou onéreux.

Sont punis des mêmes peines les membres de toute association ou entente, formée ou établie dans le but de préparer ou de commettre les faits susvisés.

Les dirigeants de l'association ou de l'entente, ainsi que ceux qui y ont exercé ou qui y exercent un commandement quelconque, sont punis des peines prévues par le deuxième alinéa de l'article 294 du code pénal.

S'il résulte du transport des personnes dont l'entrée ou la sortie clandestines du territoire marocain est organisée, une incapacité permanente, la peine prévue au premier alinéa ci-dessus est la réclusion de quinze à vingt ans.

La peine est la réclusion perpétuelle, lorsqu'il en est résulté la mort.

ARTICLE 52 : En cas de condamnation pour l'un des crimes prévus au présent titre, la juridiction doit ordonner la confiscation des moyens de transport utilisés pour commettre l'infraction, qu'ils soient utilisés pour le transport privé, public ou à la location, à condition que ces moyens de transport soient la propriété des auteurs de l'infraction, de leurs complices ou des membres de l'association de malfaiteurs, même ceux qui n'ont pas participé à l'infraction, ou la propriété d'un tiers, qui savait qu'ils ont été utilisés ou seront utilisés pour commettre l'infraction.

ARTICLE 53 :  La personne morale reconnue coupable de l'une des infractions prévues au présent titre est punie d'une amende de 10.000 à 200.000 Dhs.

En outre, la personne morale est condamnée à la confiscation prévue à l'article 52 ci-dessus.

ARTICLE 54 : La juridiction peut ordonner la publication d'extraits de sa décision de condamnation dans trois journaux, expressément désignés par cette juridiction. Elle peut également ordonner l'affichage de cette décision à l'extérieur des bureaux de la personne condamnée ou des locaux occupés par elle, aux frais de celle-ci.

ARTICLE 55 : Les juridictions du  Royaume sont compétentes pour statuer sur toute infraction prévue par le présent titre, même lorsque l'infraction ou certains éléments constitutifs de cette infraction ont été commis à l'étranger.

La compétence des juridictions du Royaume s'étend à tous les actes de participation ou de recel même si ces actes ont été commis en dehors du territoire national par des étrangers.

ARTICLE 56 : L'enquête, l'instruction et le jugement des infractions prévues par la présente loi s'effectuent conformément aux dispositions du code de procédure pénale.

Encadré IV- Textes anciens sanctionnant l’entrée en situation irrégulière au Maroc   

Dahir du 9 août 1952 - Est passible d'une amende de 60.000 à 600.000 francs et d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, toute personne  qui aura fait sciemment une déclaration fausse ou inexacte, afin justifier sa demande d'autorisation de séjour. L'autorisation accordée dans ces conditions  sera immédiatement retirée.

Dahir du 9 août 1952 - sera punie d'une amende de 60.000 à 600.000 francs et d'un emprisonnement d'un mois à deux ans, toute personne qui pénètrera en zone française de notre Empire, par quelque moyen que ce soit, sans passeport régulier ou sans autorisation. Elle encourra, en outre, le cas échéant, les sanctions édictées par les textes relatifs à l'immigration ou à la circulation des isolés dans ladite zone en temps de guerre.

Seront également passibles des peines prévues au présent article les personnes qui, en connaissance de cause, auront, par quelque moyen que ce soit, procuré aide ou assistance à des personnes pour les soustraire aux dispositions du présent dahir.

La loi du 26 mars 1891 sur l'atténuation et l'aggravation des peines et l'article 463 du code pénal ne sont pas applicables.

En cas de récidive, la peine de l'emprisonnement sera obligatoirement prononcée.

Source: L’Immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc, Programme des migrations internationales; BIT-Genève.                                                               

Bibliographie

Les éléments bibliographiques suivants sont à adjoindre à ceux qui sont contenus dans le premier rapport, ‘’l’Immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc‘’, réalisé par : L. Barros, M. Lahlou, C. Escoffier, P. Pumares, P. Ruspini; Genève, ILO, 2002.

*Ali Bensaad, Le Monde Diplomatique ; Septembre 2001.

*Commission européenne, Programme Meda-Maroc, ‘’Gestion des Contrôles Frontaliers ‘’, Mission d’identification au Maroc, Juillet-Octobre 2002.

*Comité catholique contre la faim et pour le développement, ‘’Dette & développement, plate-forme d’information et d’action sur la dette des pays du sud, rapport 2001-2002 (site internet: www.dette2000.org).

*Haut Conseil de coopération internationale (HCCI) : ‘’Les priorités de la coopération pour l’Afrique subsaharienne…’’ ; Paris-France ; Avril 2002

                                                                                       ‘’La Conférence de l’ONU sur le financement du développement – Monterrey, Mexique, 18-22 mars 2002‘’;  Décembre 2002

*Le Monde , Bilan du Monde, , Paris; Edition 2003.

*Le Monde diplomatique, L’Atlas du Monde diplomatique, 2003.

*ONUDI : ‘’Programme intégré d’appui aux activités génératrices de revenus et d’emplois pour la réduction de la pauvreté‘’ ; Madagascar ; Avril 2001

                   ‘’Côte d’Ivoire : Développement durable du secteur privé‘’ ; Juin 1999.

                   ‘’Appui à la compétitivité et promotion de la décentralisation des activités productives‘’ ; Mal ; Mars 2000.

*Sassia Spiga, La Dynamique urbaine post migratoire à Tamanrasset; Migrinter, Poitiers, avril 2002.

*Olivier PLIEZ, ‘’Les migrations dans le Sahara libyen: approches et aspects‘’; Migrinter, Poitiers, avril 2002.

Sites consultés : www.uneca.org (site de la Commission économique pour l’Afrique) ; www.worldbank.org (Banque mondiale) ; www.adb.org (Banque africaine de développement) ; www.fao.org (FAO) ; www.undp.org (Programme des Nations unies pour le développement) ; www.unaids.org (Programme des Nations Unies de lutte contre le sida) ; www.ilo.org  (Organisation internationale du travail).


[1] L’Immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc, Programme des migrations internationales; BIT-Genève.

[2] Haut Conseil de Coopération Internationale;  relevant du Premier ministre français.

[3] Voir ‘’Chronologie migratoire‘’, par ailleurs.

[4] En effet, des pays comme l’Iran, le Pakistan ou la Libye, par exemple,  faisaient part, en 2001, de la présence sur leurs territoires d’au moins 2 millions de migrants chacun.

[5] Le Monde, quotidien, 20-21 mai 2001; Paris.

[6] Le Journal hebdomadaire, 25 janvier 2003, Casablanca.

[7] Le Monde, n° du 21 janvier 2003.

[8] Projet de loi sur les migrations irrégulières en discussion devant le gouvernement marocain depuis le 16 janvier 2003. Voir par ailleurs.

[9] Programme Meda-Maroc, ‘’Gestion des Contrôles Frontaliers ‘’, Mission d’identification au Maroc, Juillet-Octobre 2002. Commission européenne.

[10] Lire à ce propos l’article de Saskia Sassen ‘’Mais pourquoi émigrent-ils ?‘’. Le Monde diplomatique, novembre 2000.

[11] Laquelle représente les différentes phases d’évolution par lesquelles passe une population donnée, et qui vont, généralement, d’une croissance à l’état naturel à une croissance sous contrôle humain.

[12] C’est-à-dire d’évolution de la croissance démographique vers son stade ultime actuel, celui qui est marqué par de faibles taux de natalité et de mortalité.

[13] Le Point sur l’épidémie du SIDA ; OMS. Décembre 2002.

[14] Idem ; p. 28.

[15] Rapport 2000 sur les Pays les moins avancés. CNUCED. ( site web : www.unctad.org)

[16] Cet ensemble de 5 pays regroupe près de 50 millions d’habitants, disposant en moyenne chacun d’un peu plus de 200 USD par an,  ce qui correspond à  près 60 cents américains par jour,  et enregistrant un taux de croissance démographique moyen compris entre 2,7 et 3,4 % par an.

[17] Dette & développement, plate-forme d’information et d’action sur la dette des pays du sud, rapport 2001-2002 (site internet: www.dette2000.org).

[18] Consulter : www.uneca.org (site de la Commission économique pour l’Afrique) ; www.worldbank.org (Banque mondiale) ; www.adb.org (Banque africaine de développement) ; www.fao.org (FAO) ; www.unaids.org (Programme des Nations Unies de lutte contre le sida).

[19] La revue Dinero,  n° 907 de juin 2002, Madrid ; E..mail : dinero@negocios.com      

[20] 21 août 2002.

[21] Al Ahdath Al Maghribia, journal arabophone de Casablanca, du 15 septembre 2002.

[22] Chaque été, entre fin juin et début septembre, entre 800 mille et 1,2 million de Marocains transitent par ce port, pour venir passer leurs vacances au Maroc.

[23] Libération, journal de Casablanca, du 24 septembre 2002.

[24] Idem, n° du 27 septembre 2002.

[25] Faisant partie du Programme indicatif national MEDA 2002/2004 qui incluse 3 programmes spécifiques : Gestion des contrôles frontaliers, avec un budget de 40 millions d’Euros, Appui institutionnel à la circulation des personnes, budget 5 millions d’Euros et Stratégie pour le développement des provinces du nord (marocain), 70 millions d’Euros pour l’année 2004.

[26] Ce chiffre a été annoncé par les radios, début février 2003. La revue Tel Quel (publiée à Casablanca) a annoncé dans sa livraison en date du 3 mars 2003, l’arrestation plutôt de 4.400 personnes d’origine subsaharienne en situation irrégulière. Pour les mois de janvier et février 2003,  les services de police marocains auraient appréhendé 2.900 ressortissants étrangers en situation irrégulière au Maroc ( Libération, journal de Casablanca, du 9 mars 2003).

[27] elpais.es. Site internet du journal espagnol, El Pais. Le 26 août 2002.

[28] Le 23 septembre 2002 devait se tenir à Madrid, une rencontre prévue dès la résolution de l’incident de l’île de Leïla (Taura) entre les ministres marocains et espagnols des affaires étrangères, or cette rencontre a été annulée par les Marocains, le 21 septembre, qui l’ont jugé sans utilité en raison de violations répétées de l’espace aérien et maritime marocains par les forces armées espagnoles (il y aurait eu, selon le Ministère des affaires étrangères à Rabat, 67 survols de l’espace aérien marocain par des avions espagnols entre les mois de juin et de septembre 2002 et 21 violations des eaux marocaines par des unités navales de la marine espagnole).

[29] Les migrations irrégulières à travers et vers le Maroc ; BIT, Genève, août 2002.

[30] Publication annuelle de l’OCDE sur les migrations internationales (2001), citée par la revus espagnole ‘’Dinero‘’, n° 907, juin 2002.

[31] Sassia Spiga, ‘’La dynamique urbaine post-migratoire à Tamanrasset‘’. Colloque sur « le Maghreb et les nouvelles configurations migratoires internationales ». Migrinter, Poitiers, France, 19/20, avril, 2002

[32] Ali Bensaad, Le Monde Diplomatique ; Septembre 2001.

[33] A un point tel que le Mali et le Niger ont ouvert des consulats généraux à Tamanrasset.

[34] Ce dernier chiffre a notamment été retenu par des experts de la Commission européenne lors  d’une ‘’mission d’identification au Maroc’’ menée, entre les mois de juillet et d’octobre 2002, dans le cadre du Programme Meda-Maroc, ‘’Gestion des Contrôles Frontaliers ‘’.

[35] Les migrations dans le Sahara libyen: approches et aspects ; Olivier PLIEZ. Migrinter, Poitiers, avril 2002

[36] Voir ‘’L’Immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc‘’,  BIT-Genève ; plus particulièrement, chapitre sur les lois des étrangers au Maroc.

[37] Banque africaine de développement; rapport annuel 2001.

[38] Le traité instituant l’Union Africaine, signé par 36 pays africains, est entré officiellement en vigueur le 26 mai 2001. Le Maroc, qui a quitté l’OUA en 1981, n’en fait pas partie.

[39] L’idée en est lancée lors du sommet de l’Union Africaine tenu le 23 octobre 2001, à Abuja au Nigeria par 5 chefs d’Etats, Afrique du Sud, Algérie, Egypte, Nigeria, Sénégal .

[40] Le 16 janvier 2003, et discuté au parlement à partir du 6 février 2003.

[41] Bilan du Monde, le Monde, Paris ; Edition 2003.

[42] Idem.

[43] Idem.

[44] Mehdi Lahlou, ‘’Travail et emploi au Maghreb ‘’, in l’Etat du Maghreb, Editions la Découverte, Paris, 1992. Papier actualisé à l’occasion d’une rencontre organisée par le BIT sur l’employabilité au Maghreb, Alger, Avril 2002.

[45] Sassia Spiga, La Dynamique urbaine post migratoire à Tamanrasset; Migrinter, Poitiers, avril 2002.

[46] Ce montant est à mettre en rapport, par exemple, avec les 142,43 millions d’Euros (près de 150 millions de dollars américains) prévus pour le financement, entre 2000 et 2005, du Système intégré de vigilance extérieure (SIVE) mis en place pour protéger ‘’la frontière méridionale de l’UE contre le franchissement illégal par voie maritime‘’. Il s’agit en fait d’un dispositif  de surveillance des eaux territoriales espagnoles et leurs environs, jusqu’aux îles Canaries.

[47] Tenue à Monterrey, au Mexique, entre le 18 et le 22 mars 2002.

[48] A l’image de la Conférence euro-méditerranéenne de Barcelone, tenue les 27 et 28 novembre 1995.

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10 avril 2006

Ceuta et Mellilla : signez la déclaration de Larache !

Ceuta et Mellilla : signez la déclaration de Larache !

Par ATTAC Maroc - 13/10/2005

Face aux graves événements qui se sont produits aux frontières de Ceuta et de Melilla, qui ont provoqué le décès d’au moins huit personnes et fait des dizaines de blessés dont le seul délit était le désir de trouver un futur plus digne, nous souhaitons exprimer notre douleur, notre indignation et notre condamnation énergique.

En premier lieu, il faut procéder à une enquête sur les graves violations des droits de l’homme qui se produisent autour des deux frontières, éclaircir les faits en liaison avec des observateurs internationaux et déterminer les responsabilités.

Nous rejetons le fait que l’unique manière d’aborder le phénomène migratoire entre l’Afrique et l’Europe soit la militarisation et la transformation des frontières en nouveaux murs de la honte, cette fois enclavés en territoire africain.

L’Union européenne ne doit pas affronter les problèmes issus des migrations avec des politiques sans cesse plus dures, basées sur l’étanchéité des frontières, sur des systèmes complexes de contrôle policier, sur le recul des politiques d’asile, sur des accords en vue d’expulsions collectives, sur des centres de rétention et d’internement, sur l’externalisation de la gestion de l’asile et des migrations, etc...

Il faudrait au contraire promouvoir des politiques généreuses et d’une plus grande envergure qui mettent en avant la coopération effective pour le développement et la solidarité et qui veillent aux droits de l’homme. Nous ne pouvons pas faire de l’Europe une forteresse où l’égoïsme économique serait le seul critère d’admission des migrants.

Toutefois, les événements survenus ces derniers jours à Ceuta et Melilla cadrent mieux avec ces politiques au profil dur et égoïste aux conséquences tragiques, qu’avec une autre approche fondée sur la coopération, la solidarité et les droits de l’homme.

Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur le projet de création de centres pour mineurs au Maroc traité par le sommet hispano-marocain du 28 septembre 2005, en raison de garanties douteuses sur le respect des Conventions internationales relatives aux droits de l’enfant.

Nous dénonçons de la même manière que le Maroc ait accepté de se transformer en gardien de la frontière sud de l’Union européenne. Le manque de garanties démocratiques et la violation des droits de l’homme sont une réalité constante dans ce pays choisi précisément pour effectuer la sale besogne pour le compte de l’U.E. Il est inacceptable que l’Union européenne détourne son regard face aux violations des droits fondamentaux perpétrées par le Maroc envers les migrants.

L’Europe ne peut pas oublier ses responsabilités dans le désespoir des Africains qui tentent d’arriver jusqu’à elle. Il s’agit de personnes qui, après de nombreux maux pour traverser la moitié de l’Afrique, vivent dans des conditions inhumaines, dans l’attente d’une occasion d’accéder à l’Europe. Il ne faut pas s’étonner que face au harcèlement des différents corps de police marocains et à l’étanchéité sans cesse accrue de la frontière, ils sombrent dans un désespoir inimaginable.

L’Europe doit assumer sa responsabilité historique et actuelle dans la situation de tout un continent qui compte aujourd’hui plus de 100 millions de personnes d’une extrême pauvreté. L’Afrique et les Africains ont été spoliés, dépouillés et condamnés à la dislocation et à la misère, notamment par les entreprises multinationales. Et quand, fruit de leur situation désespérée, ils tentent d’émigrer, l’Europe les empêche de le faire légalement et ne leur laisse pas d’autre alternative que de tenter la terrible traversée de l’émigration irrégulière.

Pour toutes ces raisons, et tout en étant conscients de la complexité des facteurs qui ont une incidence sur ce problème, nous souhaitons :
-  Que soit créée une Commission de recherche, avec la participation d’observateurs internationaux indépendants, qui élucide tout ce qui est arrivé lors des tragiques événements de Ceuta et de Melilla et en détermine les responsabilités.
-  Que cessent immédiatement la persécution, le harcèlement, la violence et les expulsions vers la mort aux frontières de l’Algérie et de la Mauritanie opérés par le gouvernement marocain envers les migrants subsahariens.
-  Que soit autorisé et facilité pour ces personnes l’accès à une aide d’urgence de la part d’organismes internationaux à caractère humanitaire.
-  Que soient scrupuleusement respectées les conventions internationales et les lois espagnoles qui protègent le demandeur d’asile et qui établissent des normes à l’égard des migrants. En particulier, doivent cesser les expulsions collectives illégales pratiquées par la Guardia Civil espagnole.
-  Nous critiquons en l’espèce l’emploi de l’Armée dans des tâches de contrôle de frontières puisqu’il ne s’agit pas d’une affaire à caractère militaire mais d’un problème humanitaire et social grave.
-  Sur un plan plus général, nous croyons indispensable un changement de cap des politiques migratoires de l’Union européenne selon des critères de solidarité et de respect des droits de l’homme. De même il est indispensable de rendre l’accueil plus digne et de favoriser des politiques d’insertion des personnes arrivées en Europe.
-  Enfin, sur un plus long terme, nous rejoignons toutes les campagnes et revendications qui prônent l’annulation de la dette extérieure, le destin du 0,7 % au développement et la mise en route d’un ambitieux plan de coopération pour le développement structurel destiné prioritairement à mettre un terme aux situations de pauvreté et de misère que vit le continent africain. De même, nous soutenons ceux qui oeuvrent pour la fin de la violence destructrice de nombreux pays africains et pour leur démocratisation

10 avril 2006

ZONA VETADA A LAS ONG Y LOS PERIODISTAS

ZONA VETADA A LAS ONG Y LOS PERIODISTAS

Comunicado Apdha-Cahabaka.
El último asalto a la valla de Melilla acaba en tragedia: seis inmigrantes muertos y 30 heridos. Chabacka y Apdha exigen una acción urgente internacional
Comunicado de SOS Racismo.
SOS Racismo en el mismo sentido que Apdha y Chabaka, insisten en que expulsar a Marruecos es en estos momentos condenar a muerte a los inmigrantes

Ciberacciones.
Se pueden enviar Mails y Fax de protesta a las direcciones que pasamos. Los colectivos pueden adherirse a la Declaración de Larache. Amnistía Internacional también ha puesto en marcha una ciberacción. Todas ellas son complementarias y os animamos a sumaros a las mismas.
Comunicado de Comunidades Cristianas Populares.
La inmigración viene a sacar a la luz las propias contradicciones internas de nuestro ensalzado modelo económico y social. Si no sabemos o no queremos resolverlas, la cuestión de la inmigración seguirá agudizándose como asignatura pendiente. Mientras tanto, nos quedamos tranquilos haciendo a las víctimas culpables de su situación insostenible; o protegiéndonos ilusamente contra sus intentos de llegar a este lado. ¿Hasta cuándo?
Los conflictos olvidados.
Carlos Taibo, en la Agencia de Información Solidaria, nos dice que de la misma suerte que nos hemos acostumbrado a escuchar, imperturbables, las cifras que dan cuenta del vigor ingente del hambre en el mundo que habitamos, hemos acabado por asumir, sin pestañear y mal arropando nuestra presunta mala conciencia, que hay conflictos de primera, de segunda y de tercera clase.
No a las armas, si a la vida.
En el 2000 se gastó en armamentos US$ 524 mil millones. En el 2003, post-Bin Laden, US$ 642 mil millones.  Aumentó el 25%. Y en el 2003,  los 30 países más ricos del mundo destinaron a la cooperación con las naciones más pobres sólo US$ 69 mil millones. O sea, un 10% de lo que se utilizó en armas.  El caso de Estados Unidos horroriza, como diría mi sobrino: el  1% de su presupuesto fue para la ayuda internacional, y un 25% para actividades bélicas.

Marruecos: muerte y deportación

Graves violaciones de derechos humanos en Marruecos
Apdha denuncia deportaciones y muerte de subsaharianos en el desierto
Exigen actuación urgente de organismos internacionales

La Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía y la Red Chabacka del Norte de Marruecos, tras la muerte de seis subsaharianos en un nuevo intento de entrar en Melilla en la madrugada entre los días 5 y 6, hacen un llamamiento a la acción internacional ante las graves violaciones de derechos humanos que se están produciendo en Marruecos con las personas inmigrantes de origen subsahariano.
Tras las presiones españolas y de la UE, Marruecos está procediendo a la deportación de centenares de personas al desierto del Sahara, tanto a la indeterminada frontera con Argelia como a la de Mauritania. Se calcula que han sido deportados a estas zonas entre 800 y mil africanos procedentes de diversas nacionalidades que son abandonadas en las mismas sin alimentos ni agua. También se han producido, pero en menor medida, deportaciones a la zona de Oujda en la frontera argelina..
La Apdha y Chabacka han podido saber que han desaparecido y se les da por muertos entre doce y diecisesis personas, dada la debilidad previa tras semanas en condiciones infrahumanas en los bosques alrededor de Ceuta o de Melilla. Asimismo han podido saber que una mujer nigeriana ha fallecido en el proceso de deportación.
La situación de las decenas de personas que quedan escondidas en lo más profundo de los bosques, como en Beniunesh, es de auténtica urgencia humanitaria: cercados por el ejército que no entra en el fondo del bosque y se limita a destruir y requisar todo lo que ven, sin agua potable, alimentos o un mínimo cobijo. Y nos han hecho llegar una petición de socorro urgente.
La Apdha y Chabacka, ante esta gravísima violación de derechos humanos, exigen la actuación inmediata de organismos internacionales, desde Cruz Roja, hasta el ACNUR, pasando por el Parlamento Europeo, organismos a los que nos hemos dirigido.
Parece preocupante y grave que en esta situación se active precisamente el protocolo de devolución con Marruecos de 1992 a partir de hoy, según ha anunciado la vicepresidenta del gobierno español, ante la inseguridad jurídica y el destino incierto de los inmigrantes que puedan ser devueltos a este país.
Asimismo también resulta preocupante que se hayan desbloqueado cuarenta millones de euros por la UE que con toda seguridad no van a ser empleados en habilitar ayuda humanitaria y un trato digno a las personas subsaharianas. En este sentido, desde las dos orillas, pedimos la que las Comisiones que van a enviar tanto la UE como el Parlamento Europeo, no se limiten a certificar las medidas de seguridad tomadas, sino a investigar las denuncias de violaciones de derechos humanos tan graves como las que estamos realizando y a resolver la situación de crisis humanitaria que atraviesan miles de personas subsaharianas en Marruecos.
6-10-05.

10 avril 2006

Morocco/Spain: Migrants deported to die in the desert

On 5 October 2005, the Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía and the Chabaka network of northern Morocco issued a call to condemn the serious violation of human rights that are being suffered by sub-Saharan migrants, most notably the deportation of hundreds of people to the Sahara desert which has resulted in between 12 and 16 deaths already. The statement also describes the situation of migrants in northern Morocco who are hiding in the depths of woods and surounded by the army as an emergency. The two organisations called on the UNHCR, the Red Cross and the European Parliament to intervene immediately, as well as criticising the fact that a repatriation agreement between Spain and Morocco dating back to 1992 for the return of non-nationals who have used Morocco as a transit country has been put into practice in these circumstances. They also lament the fact that the € 40m in funding that have been made available by the EU, will "certainly… not be used to relieve the humanitarian crisis that thousands of sub-Saharan Africans in Morocco are experiencing".

APDHA and Chabaka press statement, 5.10.2005; available at: http://www.apdha.org

"GRAVES VIOLACIONES DE DERECHOS HUMANOS EN MARRUECOS"

10 avril 2006

Morocco/Spain

Statement by APDHA and Chabaka

Chabaka and the APDHA condemn the serious violations of human rights in Beniunesh. Hundreds of people are on the verge of dying.

The Network of North Moroccan Associations -Chabaka- and the Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía -APDHA, after visiting the area of Beniunesh on the Moroccan side of the border with Ceuta (a Spanish enclave in northern Morocco) last Sunday, and having verified the serious violations of human rights that are taking place, issue an urgent call to the Spanish and Moroccan governments, and to international humanitarian institutions. It has been possible to ascertain, on the ground, that hundreds of persons of African origins - men, women and children - who were looking to be received on European soil, are on the verge of dying because the Moroccan police is denying them access to food and water. These people, some of whom are wounded, are being harassed relentlessly, without being given the chance to find shelter, wash or feed themselves.

The people who are detained are sent to the Algerian border, where we have received confirmation that an inhumane situation is also being created, in which there have already been several deaths caused by the cold and hunger.

As a result of this inhumane situation, several desperate attempts to enter Ceuta are taking place, [with people] trying to jump fences that are over six metres high. They are rejected by the Spanish police forces.

Chabaka and the APDHA lament that the Spanish-Moroccan cooperation in the field of migration is translating into this intolerable violation of human rights. This is why they ask both governments to stop this persecution immediately, and for these people to be received in a humanitarian fashion.

Nonetheless, they also call on international institutions to intervene urgently to stop this tragedy and to require the respect of the dignity of these persons and of human rights.

24.2.2005

[Unofficial Statewatch translation of the appeal by Chabaka and the APDHA. The original, in Spanish, is below, followed by a letter about the situation in Beniunesh which the associations invite people to send to the Moroccan embassy in Spain, to the Spanish ministry of foreign affairs and to the UN Commissioner for Human Rights]

Previous story:
Spain-Morocco: Appeal highlights the human rights implications of the transfer of responsibility for immigration controls to third countries

Situación crítica en Beniunesh
Comunicado de la Apdha y Chabaka

· Chabaka y Apdha denuncian las graves violaciones de derechos humanos en Beniunesh
· Centenares de personas al borde de la muerte

La Red de Asociaciones del Norte de Marruecos -Chabaka- y la Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía -Apdha- tras la visita efectuada este pasado domingo a la zona de Beniunesh en la en la parte marroquí de la frontera con Ceuta y constatar las graves violaciones de los derechos humanos que se están produciendo, hacen un llamamiento urgente a los gobiernos español y marroquí y a las instituciones humanitarias internacionales.
Sobre el terreno se ha podido constatar que centenares de personas de origen africano -hombres, mujeres y niños-, que buscaban encontrar acogida en suelo europeo, están al borde de la muerte al serles impedido por la policía marroquí el acceso a la comida y al agua. Estas personas, algunas de ellas heridas están siendo hostigadas implacablemente impidiéndoles cobijarse, asearse o alimentarse.

Aquellas que son detenidas son enviadas a la frontera argelina, donde hemos podido confirmar que también se está provocando una situación infrahumana en la que ya se han producido varias muertes por frío o hambre.

Fruto de esta inhumana situación se están produciendo numerosos intentos de entrar a la desesperada en Ceuta saltando unas alambradas que superan los seis metros de altura. Y son rechazados pro las fuerzas del orden españolas

Chabaka y Apdha lamentan que la colaboración hispano marroquí en el capítulo de las migraciones se traduzca es esta violación intolerable de los derechos humanos. Por ello piden a ambos gobiernos el cese inmediato de la persecución y que se acoja humanitariamente a estas personas.
Y en todo caso, hacen un llamamiento a las instituciones internacionales para que intervengan con carácter urgente para parar este drama y exigir el respeto de la dignidad de las personas y de los derechos humanos.

Chabaka and the APDHA lament that the Spanish-Moroccan cooperation in the field of migration is translated into this intolerable violation of human rights. This is why they ask both governments to stop this persecution immediately, and for these people to be received in a humanitarian fashion.
Nonetheless, they also call on international institutions to intervene urgently to stop this tragedy and to require the respect of the dignity of these persons and of human rights.

Carta enviada a la embajada marroquí (una similar se envió al ACNUR, al Ministerio de AA.EE. español, al Comisionado de la ONU para los Derechos Humanos…)
A/A Sr. Embajador de Marruecos en España.
Madrid

La Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía, la Federación Andalucía Acoge, la Federación SOS Racismo, la Asociación Marroquí de Derechos Humanos y la Red de Asociaciones del Norte de Marruecos -Chabaka- han constatado la crítica situación que viven las personas de origen subsahariano en la zona de Beniunesh en la parte marroquí de la frontera con Ceuta, donde son constantes las violaciones de los derechos humanos más elementales.

Hemos podido comprobar cómo centenares de personas de origen africano que buscan solicitar asilo en territorio europeo, están en grave peligro incluso de muerte por hambre, sed y frío bajo la indiferencia de gobiernos e instituciones. Los militares instalados en la zona no les permiten el acceso ni a la comida ni al agua. Si son interceptados, son deportados a Oujda, en la frontera con Argelia, donde también malviven en terribles condiciones.
Como consecuencia de esta situación límite en estos días se están produciendo numerosos intentos de entrar a la desesperada en Ceuta saltando unas alambradas que superan los seis metros de altura.

Ante esta grave situación pedimos la inmediata actuación del gobierno marroquí solicitando el cese inmediato de la persecución y el hostigamiento de las personas africanas, así como la habilitación de ayuda para las personas inmigradas. Así mismo le trasladamos nuestra preocupación y nuestra exigencia del respeto de los derechos humanos y de los Tratados Internacionales de los que su gobierno es signatario.

A 24 de Febrero de 2005

Pedimos a todos los colectivos que se sumen a esta iniciativa y envíen cartas como la anterior o similar al Ministerio de Asuntos Exteriores y a la embajada marroquí. Copia la carta y añade tu nombre y DNI o el CIF de la asociación.

Las direcciones son:

EMBAJADA: simafa1@infonegocio.com
MINITSRIO ASUNTOS EXTERIORES: antonio.groger@mae.es
ACNUR: spama@unhcr.ch



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